Régulièrement

Régulièrement elle venait, l’air de n’avoir rien à dire, elle la regardait, l’observait de longues minutes, elle regardait ailleurs, derrière elle, à côté, souvent elle ne la regardait pas. Elle disait que c’était tout, qu’elle n’avait rien d’autre à dire alors qu’elle n’avait encore rien dit, cela pouvait durer une heure, parfois plus, elles se faisaient l’amour, parfois cinq minutes, parfois toute une nuit, et elles se quittaient le lendemain matin, elle lui adressait un sourire qu’aussitôt elle lui rendait. Parfois, quand elle évoquait certains événements de sa vie, elle pleurait, disait qu’elle n’était pas heureuse, mais aussitôt se reprenait, disait que ce n’était pas vrai, qu’elle ne pleurait pas, puis elle disparaissait, patiente, très patiente, bien que parfois impatiente, repartait chez elle avec ses grands yeux noirs, loin, très loin, et elle refermait sa porte en la regardant s’éloigner, parfois en ne la regardant pas, toujours en pensant à elle.

Ophélie Conan

Poème en prose d’Ophélie que j’ai reçu en 2010, alors que je venais de faire sa rencontre et qu’elle était abandonnée par Amélie, son amante de l’époque, partie dans le Lot avec sa Chloé (« Ma rencontre avec Ophélie« ). À l’époque, j’avais trouvé ce poème étrange, car elle parlait apparemment d’elle et de moi à la troisième personne, comme si je venais régulièrement, ce qui était loin d’être le cas en réalité. Je crois qu’elle parlait de moi comme d’un fantasme qui l’habitait « régulièrement ».


(Publié le 28 mai 2020 dans "Marianne a du chagrin".)

Commentaires

  1. Elle et elle, j'adore. Car tout est clair, bien sûr. On sait qui est elle et qui est elle. Je ne sais pas si cela porte un nom en rhétorique, mais j'adore.

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