Ma rencontre avec Ophélie

Hier, dimanche, j’étais invitée à un mariage en Mayenne, ce qui n’est guère coutumier. Oui, il n’est pas coutumier de se marier le dimanche. Pour l’occasion, Madame le Maire et son adjointe avaient ouvert leur petite mairie. Madame le Maire, une jolie rousse d’une quarantaine d’années, s’était ceinte de son écharpe tricolore et je peux dire qu’elle avait vraiment fière allure. Je l’aurais bien vue en Marianne, celle qui était posée sur une table, et avec laquelle je la comparais. Bien évidemment, je la préférais au Sarko de la photo, que je voyais juste au-dessus d’elle. Il faisait beau, il faisait chaud, très chaud même au moment où les époux ont écouté, toutes fenêtres ouvertes, la lecture du code civil effectuée par Madame l’adjointe, et ils ont dit oui, ensuite, à Madame le Maire, avant de signer. Il faisait si chaud que j’avais mis une petite robe mauve sans rien dessous. La mariée aussi était très belle dans sa robe blanche écrue, trente-deux ans, sans profession, deux jolis bambins du marié, qui, au passage, est le fils de vieux amis de mes parents.

Il a même fait orageux en fin de journée. Je me suis d’abord ennuyée. Il faut dire que je ne connaissais pas grand monde à l’exception du marié, fort occupé par ses noces qu’il avait organisées lui-même, et de ses parents que je n’avais pas revus depuis fort longtemps. Pourtant, la réception était magnifique, sympathique, dans un grand jardin compartimenté et merveilleusement fleuri, agrémenté ici et là de plusieurs stands où l’on pouvait se servir d’amuse-gueules, de verrines exquises, d’alcools et de boissons rafraîchissantes. Le marié avait fait venir un petit jazz band style années cinquante, les enfants se poursuivaient avec des pistolets à eau, et un cochon et un mouton, dos à dos, et terriblement muets, tournaient tranquillement sur une broche, pendant que jeunes et moins jeunes, en petits groupes, papotaient.

A un moment, mon attention fut attirée par un petit garçon et une petite fille, huit et six ans environ, sans doute le frère et la sœur. Eux ne jouaient pas avec les pistolets à eau, mais se promenaient tranquillement dans le jardin, admiraient les contours des allées sinueuses, les jolies fleurs dans les parterres, stationnaient très souvent devant le pauvre cochon et le pauvre mouton… Intriguée, je les suivis. Ils me conduisirent à leur maman, une superbe brune, d’une trentaine d’années, assise à l’ombre d’un grand saule en retrait, visiblement seule comme moi… Mon Dieu, qu’elle était belle! Comment n’avais-je pas su encore la remarquer? Sans doute était-elle arrivée en retard, avait zappé l’épisode de la mairie… Que sais-je? Je me suis assise à une dizaine de mètres d’elle et, du coin de l’œil, je l’ai espionnée passionnément…

Oui, cette journée passée avec Marianne fut vraiment merveilleuse, seulement un peu orageuse à la fin…

Ophélie Conan (« Mariage », publié dans son blog « Conan la barbare I », le 28 juin 2010)

C’est certain, Amélie me fait la tronche. Je suis sûre qu’elle m’en veut de mon aventure avec Marianne. C’est vrai, j’ai eu tort, mais il faisait si beau, si chaud… Et puis, je m’ennuyais à ce foutu mariage. Quelle idée de se marier! D’abord à la mairie, la belle chevelure rousse et le buste de Madame le Maire m’avaient excitée, et aussi celui en plâtre de Marianne, l’autre, la République… Bref, je n’ai aucune excuse. Le lendemain, j’ai tout raconté à Amélie. D’abord mon bébé a souri, a eu l’air de n’y attacher aucune importance, mais au fil des jours, son visage s’est emboucané. Elle me fait la gueule je vous dis.

C’est vrai, j’ai cédé aux délices de la chair, mais peut-être aussi de l’amour. Vraiment, est-ce que j’aime Marianne? Je ne sais pas. Cette femme, dès que je l’ai vue, m’est apparue si craquante. Il faisait beau, il faisait chaud. Elle avait l’air d’une fée posée là. D’où venait-elle? Elle aussi s’ennuyait sous le grand saule. A un moment, je suis allée m’asseoir près d’elle et lui ai demandé les trucs d’usage, du genre: vous êtes une amie du marié ou de la mariée? Peu importe, j’ai rapidement eu la certitude d’avoir tapé juste, de lui plaire. Marianne m’a souri. J’ai vu qu’elle était prête, qu’elle attendait que je lui fasse la cour… 

Effrontément, je l’ai regardée, n’ai vu que ses yeux, oubliant qu’elle était venue là avec ses deux enfants qu’elle aimait sans doute par-dessus tout, me demandant aussi si quelque chose d’autre avait encore de l’importance pour elle. A plusieurs reprises, elle s’excusa, disparut à cause de ses enfants et, quand elle revenait, s’asseyait toujours à la même place en face de moi, dans le même contre-jour, me souriait, respirait profondément, soufflait parce qu’elle avait un peu couru, alors je lui faisais remarquer, et elle me répondait que oui, et je sentais son souffle qui venait jusqu’à moi, et je la voyais souriante et triste à la fois, parfois les traits tirés par la fatigue, ou par une sorte de souffrance, que sais-je, ou peut-être encore par une béatitude d’être, je ne sais. A chaque fois, je la retrouvais, je la reconnaissais, oui c’était bien elle, et j’essayais de penser à ce qu’elle pensait, à voir ce qu’elle voyait, à ressentir ce qu’elle ressentait, et je revivais à chaque fois la tristesse de l’avoir perdue et la joie intense de la retrouver, songeais à la magie de cet instant merveilleux, unique, exceptionnel, à cet instant de bonheur qu’exaspérait ce sentiment rare, qu’à mes yeux il ne fallait surtout pas laisser échapper, en raison de cette belle lumière à travers les branches du saule, puis essayais encore d’appréhender l’invisible, toujours l’invisible dans ses beaux yeux. Soudain, n’y tenant plus, je me risquai à lui demander si elle désirait faire une promenade avec moi, dans le chemin qui longeait le gîte. Elle fit non de la tête, invoqua la présence de ses enfants, mais se leva, alla vers eux pour les prévenir.

Mon étonnement passé, nous marchâmes d’abord en silence, je lui demandai son prénom, elle me demanda le mien. Pendant ce temps, le soleil scintillait encore à travers les branches des haies, se montrait, disparaissait, mais le ciel se chargeait de plus en plus de vapeur, devenait lourd et gris, s’obscurcissait, devenait rosé, rouge, devenait fou. Je me disais qu’elle se demandait s’il était bien normal de se faire draguer ainsi par une femme, car elle ne pouvait avoir, bien sûr, que cette impression. J’imaginais que cela, sans doute, ne lui était jamais arrivé, mais elle aimait visiblement, j’en avais la certitude, j’étais certaine d’être entrée dans son désir comme une locomotive où plus rien ne pourrait me déloger, je le sentais, je le savais, je la ressentais comme une autre moi-même, différente, mais identique, et je la regardais comme une présence lointaine inéluctable, indispensable, inaliénable. Elle avait besoin de moi, de mon regard, de mon silence, et moi j’avais besoin de la regarder, de l’écouter, de la lire, de la vivre, de la savoir être là sans y être, d’ignorer à quoi elle pensait. Je pris alors sa main au beau milieu du chemin. Elle tremblait. Elle me dit que j’étais belle. Je lui retournais le compliment. Elle me dit que j’étais folle, je lui répondis qu’elle aussi l’était. Elle me dit qu’elle le savait, qu’elle l’avait toujours su.

Nous entrâmes dans un verger dont l’herbe était mal coupée, à plusieurs centaines de mètres du gîte, rien que des pommiers, et cela me fit sourire, et cela lui fit me demander pourquoi je souriais. Je lui répondis que j’avais envie de la voir ailleurs, de m’asseoir près d’elle dans un autre endroit, près d’une fontaine par exemple, car cet endroit-là n’était pas vraiment accueillant, mais il n’y en avait pas d’autres pour le moment, et puis il n’y avait pas non plus encore de pommes à cueillir dans les pommiers, mais je lui dis que je voulais entendre simplement battre son cœur, fermer mes yeux en sa présence, descendre de mon nuage et me trouver là, toute petite, muette et superbe à côté d’elle, à essayer de deviner à quoi elle pensait et qu’alors elle n’aurait nul besoin de me dire. Elle me regardait, magnifique, étonnée. Le soleil avait disparu dans le velouté des nuages, il faisait très chaud, il allait sans doute faire de l’orage. Je lui dis que j’avais vraiment très chaud, que je retirerais bien ma robe, elle me dit qu’elle aussi avait très chaud, et qu’elle retirerait bien aussi la sienne. Je la poussai contre le tronc d’un pommier, l’embrassai à pleine bouche, la dévorai avec voracité et me laissai dévorer par sa jolie bouche. En même temps, je caressai ses seins, elle se laissa faire, s’empara des miens, déboutonna mon devant, j’en fis autant du sien. Nos seins jaillirent, précieux bijoux, généreuses douceurs. Nous jouâmes avec eux avec tendresse et sauvagerie. Je tétai les siens, elle téta les miens. Je la léchai elle me lécha. Je caressai son minou, elle caressa le mien. Avec nos doigts, nos langues, nos bouches, nous nous fîmes jouir vite et lentement. Vite car les minutes étaient comptées, l’endroit était à découvert, trop près du gîte pour y demeurer bien longtemps, et lentement, car nous n’avions de cesse que d’arrêter le temps.

Elle ne me connaissait pas, et moi je ne savais rien d’elle. Sans doute pensait-elle que j’étais une faiseuse de mots, de mensonges, de songes, sans songer qu’on ne triche pas avec son corps, avec ses seins, avec ses yeux, avec les élans de son cœur. Elle regarda mes mains posées sur ses seins, je regardai les siennes posées sur mes seins. Elles étaient fines, belles et nerveuses. Je vis une bague. Elle me dit que oui, elle était mariée et que son mari n’avait pas pu venir à ce mariage, qu’il était en voyage, au Canada, pour son travail. Elle souriait, incandescente, je la trouvais belle, secrète, mutine, touchante, je la regardais droit dans les yeux, parfois avec une certaine effronterie. Elle me dit que c’était la première fois qu’elle faisait l’amour avec une femme, qu’elle trouvait cela très bien, très agréable, que j’étais belle, que jamais avant elle n’avait songé faire l’amour avec une femme.

Nous nous embrassâmes encore sous le pommier, mais elle voulut rentrer à cause de ses enfants, me disant qu’ils allaient s’inquiéter d’une si longue absence. Je la rassurai. Nous rentrâmes à pas lents. En chemin, elle me dit que, sous le saule, elle n’avait osé me regarder, mais qu’elle m’avait trouvé très belle. Elle pouvait le faire à présent. Elle marchait avec l’espièglerie d’une jongleuse, d’une bienheureuse, à un moment il lui arriva même de voler. Je lui dis que j’étais folle d’elle, et elle me répondit que cela lui faisait peur, lui faisait mal. Même un amour secret lui ferait mal. Elle me dit que cet amour ne serait pas possible, qu’il n’était pas possible d’être autant aimée. Pourquoi moi, pourquoi elle? Elle était sûre de n’être rien pour moi, elle n’avait rien de plus qu’une autre. Comment était-ce possible? Comment une telle chose avait pu arriver. Je lui dis que c’était une mauvaise question, que cela était arrivé, un point c’est tout. Mais l’affaire n’était pas très claire en elle, elle était bouleversée, et elle n’était pas non plus très claire en moi, à cause d’Amélie, mon bébé, que j’aimais aussi à la folie. Elle me dit qu’elle aimait beaucoup son mari, qu’elle pensait que c’était un homme très bien, honnête, courageux. Je ne lui parlais pas d’Amélie, et elle ne me demanda pas si j’avais une liaison. Je lui dis seulement que j’avais eu, moi aussi, autrefois, un mari. Quand nous arrivâmes au gîte, vers sept heures ou huit heures, je ne sais plus, il était l’heure de se mettre à table pour manger le cochon et le mouton, enfin grillés, enfin prêts, qu’on avait découpés en fines lamelles. Je m’installai à côté d’elle et de ses deux enfants…

Ophélie Conan (« Marianne », publié dans son blog « Conan la barbare I », le vendredi 2 juillet 2010)

« Mariage » et « Marianne », avec d’autres articles de l’année 2010, sont publiés dans « Le bic et la bombe« 



Bientôt dix ans. J’avais 35 ans, à cette époque. J’étais la jeune mère de deux enfants encore petits, Valentin et Constance, âgés de 8 et 6 ans. J’étais mariée depuis douze ans. avec un mari adorable et fidèle. Et puis, tout a basculé quand j’ai rencontré Ophélie, lors de ce mariage d’amis communs.

Je me souviens de ce jour comme si c’était hier. Il faisait un temps magnifique. Nos yeux se sont rencontrés. Nous avons marché dans ce chemin de campagne, et nous sommes entrées dans ce champ où nous avons fait l’amour sous un pommier. Quand j’y repense, c’est invraisemblable. Que m’a-t-il pris? Jamais je n’avais fait l’amour avec une femme et ne l’avais même désiré. Sur le moment, cela m’a paru simple et évident! Et après, cela ne m’a pas posé de questions, pas choquée.

J’ai été assez longtemps sans écrire à Ophélie, sans lui donner de mes nouvelles. Je ne sais pourquoi. Avais-je peur? À cette époque, elle avait pour amante Amélie qui la trompait avec Chloé, mais Ophélie couchait aussi avec Chloé, chez elle, du côté du canal Saint Martin, à Paris. Ophélie est devenue malheureuse du départ d’Amélie avec Chloé dans le Lot. J’ai su plus tard qu’elle lui avait écrit « Folle« , un merveilleux texte. À moi, elle m’a envoyé « Régulièrement« , puis un petit mail pour me dire qu’elle voulait me revoir, qu’elle m’aimait. Je lui ai immédiatement répondu que je craignais détruire mon couple et la vie de mes jeunes enfants. « En quoi, une simple rencontre de quelques heures, un jour, pourrait vraiment t’engager? », m’a-t-elle répondu.

Nous nous sommes retrouvées à Cabourg, dans le « Grand Hôtel », cher à Marcel Proust, le 19 septembre 2010. Une journée mémorable, une Journée du Patrimoine, je me souviens. Je me souviens aussi lui avoir dit, dans notre chambre, qu’elle me baisait mieux que mon mari. Une autre fois, le jour où nous sommes allées visiter le musée de Martainville, après que nous ayons fait l’amour sous un second pommier, elle m’a avoué qu’elle me trompait avec Amélie et Chloé, et qu’elle parlait de moi dans un blog. Ça m’a fait un terrible choc, mais je ne sais pourquoi, je ne lui en ai pas voulu. Je l’ai même aimée davantage pour sa franchise. Je la voyais vraiment en barbare, en pirate, se lançant à l’abordage, les armes à la main. Ses armes, c’était sa plume, sa gentillesse, sa séduction, ses jolis et gros nichons et son merveilleux petit cul. Puis, elle m’a encore écrit combien je lui manquais, et combien elle ne pouvait se défaire d’Amélie et de Chloé qu’elle voulait me faire aimer toutes les deux.

Je me souviens aussi de ces deux jours et de cette nuit dans cette merveilleuse maison ancienne de Saint jean d’Assé. J’ai aimé les lettres d’amour enflammées qu’elle m’envoyait et publiait par la suite dans son blog. J’étais partagée entre le désir de maintenir ma relation avec mon mari et mes enfants, et celle de poursuivre cette folle liaison sauvage et dangereuse avec elle, d’autant plus qu’elle projetait de me faire connaître une baise au carré avec Amélie, Chloé et elle. Baiser à quatre filles me fascinait. Je me sentais salope, prête à lâcher ma petite vie de femme rangée, pour une existence déréglée, merveilleuse, hors du commun. Je me sentais ivre. Je me sentais folle.

Je me souviens aussi des débuts d’Ophélie à son agence et de ses aventures avec Marlène et Marceline. Elle était très impressionnée par sa collègue Marlène, une très jolie femme qui, rapidement l’a draguée, et puis s’est mise à la snober « un peu beaucoup ». L’autre, Marceline, plus sentimentale, lui faisait un gringue d’enfer, mais c’est l’inaccessible Marlène qu’elle désirait et voulait. À toutes les deux, Ophélie faisait croire qu’elle n’était qu’une gouine béotienne. Elle s’amusait beaucoup de ce petit jeu.

Et puis, en mars 2011, il y eut l’arrivée de Rose, un squelette qu’elle a trouvé dans une poubelle de la rue Kéréon, à Quimper, et avec laquelle elle s’est mise en couple, sans fol amour, sans délire, devenant vite complices et complémentaires. Rose est une chic fille, une ancienne délinquante assez rebelle, que j’aime beaucoup. C’est elle qui a initié Ophélie au bdsm. Ophélie était le chef de notre petite tribu de tribades, mais je crois bien qu’à la fin, par certains côtés, elle craignait Rose…

Et puis, fin mars, il y eut notre voyage à Rome. C’est moi qui en pris l’initiative et qui l’invitai. Ophélie était aux anges. C’est là qu’elle a commencé à vraiment croire en nous deux, à notre futur. Moi, il me semble que j’avais basculé. Je savais que j’allais désormais faire ma vie avec elle.


(Publié le 11 mai 2020, dans "Marianne a du chagrin".)

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