Chère Madame



Alençon, le 29 juin 1999 


Chère Madame,

        

 Veuillez pardonner la liberté que je prends en vous écrivant. Je le reconnais, le jeu est assez inégal car vous ne me connaissez pas. Au contraire, j’ai souvent entendu parler de vous par des amies et amis communs. Il m’arrive aussi de vous croiser dans les rues, mais je ne suis qu’une inconnue pour vous. Votre regard m’ignore…


 J’ai longtemps hésité à vous écrire, mais je cède aujourd’hui à cette tentation. Je n’en puis plus. Je voudrais tellement vous rencontrer, vous parler. Pourquoi? Parce que je suis amoureuse de vous…


 Oui, vous avez bien lu, je suis une femme, et je vous aime. Cela vous choque-t-il particulièrement qu’une femme déclare vous aimer? Pourquoi pas? 


 C’est ainsi. Qu’y puis-je? Comment m’y soustraire? Votre insistante présence dans mon esprit, votre distinction, votre beauté, votre classe et peut-être votre réserve m’habitent et m’intimident... J’aime tout de vous. Que dis-je? Je suis folle de vous. Je vous aime…


 J’en ai honte, sachez-le. Non d’être lesbienne, car ce penchant représente à mes yeux ce qu’il y a de meilleur chez une femme, mais en vous aimant, d’être la cause d’un dérangement dans votre vie... Déjà, je m’en excuse, mais ma passion est plus forte que ma raison: je brûle du désir de vous parler, d’être votre amie, de partager des instants d’extase avec vous, en secret… 


 Je sais que vous êtes mariée, que vous avez un enfant et que vous n’êtes probablement pas une habituée des amours saphiques, mais je sais aussi que c’est si facile pour une femme d’aimer une autre femme! Il suffit d’un petit coup de foudre, et voilà! Nos sensibilités sont si proches, nous nous comprenons si facilement, et puis quand nous nous aimons, c’est si doux, si tendre, si magique…


 Permettez-moi, Madame, d’espérer…


 J’ai de bonnes raisons de me cacher et de vivre dans la clandestinité, ne le prenez pas mal. Et puis… ça ne serait pas vraiment drôle si, déjà, vous saviez qui je suis! Je veux aussi rester mystérieuse, attiser votre curiosité, allumer votre désir pour que vous partiez à ma recherche. Y a-t-il plus grand bonheur que la quête de l’être qui vous ressemble et qui vous aime? 


 En attendant, regardez plus attentivement les femmes que vous croiserez sur votre chemin, fiez-vous à leur démarche, à leur regard, à leur sourire. Certainement, vous me reconnaîtrez... 


PS: Je viens de me relire et je ne vois rien à ajouter à ma lettre.                                                                                                               

   Voici une lettre que je viens de retrouver dans mes papiers anciens. Elle prouve une chose. Que j'étais déjà amoureuse d'une femme, alors que je vivais confortablement installée auprès d'un mari, avec mes deux enfants. J'avais alors 31 ans. La destinataire de la lettre était une jolie brune, médecin, d'une bonne quarantaine d'années. J'avais un peu oublié cet épisode de fixation amoureuse, sans doute névrotique, comme disent les psys. Oublié? Non. J'avais choisi de le déposer dans mes oubliettes. Finalement, j'ai dû accepter le non-désir de l'autre, car cette jolie femme n'a jamais rien fait pour me "démasquer". Pourtant, c'était possible. Je la croisais très souvent, je la regardais avec une folle intensité... Oui, cette femme était un "objet de mon écriture", "un objet de mes fantasmes", "un complément d'objet de ma névrose", "une chimère nécessaire à mon équilibre" d'alors. C'était une O. Assurément, elle aurait pu être une autre. Heureusement, elle a fini par devenir une autre. Je l'ai remplacée par d'autres. Avec du temps. Malgré l'épais brouillard qui m'enveloppait et m'aveuglait...

Ophélie Conan

Ce texte étonnant de mon amour a été publié, le 14 janvier 2010, dans "Conan la barbare I". On peut le retrouver, avec d'autres textes, en librairie Kindle, dans son journal de l'année 2010, sous le titre, "Le bic et la bombe".

Je disais que ce texte est étonnant, car on y découvre une Ophélie sans femmes, qui se meurt de ne pas retrouver les aventures lesbiennes de son adolescence, avec Mélou, sa prof de piano...

Marianne  


Commentaires

  1. Superbe lettre que sa destinataire aurait été peut-être heureuse de lire. Flattée en tout cas de susciter une telle passion.

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    1. D'après ce qu'Ophélie m'en a dit, la belle dame a lu la lettre (adressée chez elle), mais n'a pas cherché à donner suite, malgré les efforts d'Ophélie pour attirer son attention!

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  2. Beautiful, absolutely beautiful. Ophélie was a marvelous woman. I wonder how you coped with her loss. A big hug from your anonymous reader!

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    1. Thank you dear anonymous reader!
      You are right, Ophélie was a marvelous woman, and I miss her.
      Despite everything, I manage to cope thanks to my two beloved chipies (bitches), Gaëlle and Honorine...
      Thank you, dear anonymous reader, for your hug!

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  3. C'est une lettre très joliment écrite et bien tournée pour un sujet difficile à aborder. J’aimerais avoir le même talent pour l'écriture.
    J'aurais aimé aussi recevoir une telle déclaration...

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    1. Oui, c'est une très belle lettre de désir, mais elle n'a pas eu l'effet escompté!

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    2. Peut-être a-t-elle été interceptée par le mari.
      Peut-être que l'épouse, 100% hétérosexuelle, n'était pas intéressée.
      On ne le saura jamais...

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    3. Tu as raison, Phil, on ne saura jamais!

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  4. Oui, cette lettre est très bien écrite. Elle n'a pas eu l'effet escompté et pourtant, Ophélie laisse des indices sur la route sans doute en pensant à sa professeur ( e ) de piano. Ophélie sentait qui elle était vraiment. Etonnante trajectoire car je crois qu'elle a été mariée vingt ans en ayant ces désirs sans les assouvir. Son impression d'être enfin libre se percevait au tout début de son blog.

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    1. Oui, certaines femmes dont je suis sont profondément lesbiennes et démarrent dans la vie avec un mari des enfants... Je ne sais pas si c'est une erreur, on pourrait le croire, mais c'est une manière de démarrer... C'est peut-être une question de génération, je ne sais pas.

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    2. On dit souvent, ce n'est pas de moi, qu'il y a une forme de saphisme, en face cachée, dans la majorité (pas toutes) des femmes.
      Certaines la découvrent, d'autres non et vivent sans et sans le savoir, jusqu'à la fin.
      D'autres la découvrent comme toi et lâchent tout de son ancienne vie pour vivre leur lesbianisme à fond.
      Par contre, je pense à toi Marianne, si tu n'avais pas rencontré, par hasard, puisque c'était à un mariage et ensuite sous ce pommier, Ophélie, qui n'a pris aucun détour pour te draguer, aurais-tu connu le saphisme? Je veux dire par là, est-ce que tu aurais eu le cran de séduire, toi, une autre femme ?
      Je suis un peu confus dans ma réflexion. Désolé.

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    3. Tu as raison, si je n'avais pas rencontré Ophélie, par hasard, je n'aurais sans doute pas eu le cran, comme tu dis, de me réinventer lesbienne! À moins que... Je ne sais pas... C'est très difficile de répondre à cette question, parce qu'aujourd'hui, cela me semble tellement naturel de toucher et d'aimer une femme!

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    4. Aujourd'hui, je ne m'imagine pas autrement que lesbienne. Je me demande même comment j'ai pu vivre hétéro! Je me sens bien. C'est drôle, la vie...

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    5. Le tout Marianne , c'est d'avoir trouvé ta voie, et d'être heureuse.
      Merci à Ophélie du coup , de t'avoir guidée sur ce chemin.
      Oui, la vie nous réserve de belles surprises des fois,
      juste une simple rencontre y contribue.

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    6. Oui, sans Ophélie, je ne serais pas celle que je suis devenue!
      Je t'embrasse, Gil.

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  5. Quelle magnifique déclaration, pleine de délicatesse et d'énigmes, pour celle qui l'a reçue.
    J'aurais aimé être petite souris (et Ophélie, aussi, je m'en doute), quand cette dame a ouvert cette enveloppe et découvert ces mots.
    En a-t-elle été émoustillée ? A-t-elle jeté cette lettre après l'avoir mise en boule? A-t-elle cherché autour d'elle l'auteure de ce très beau message ? L'a-t-elle oubliée ou n'a-t-elle pas eu le courage de passer à l'acte, avec le risque de détruire son couple ?
    Elle a peut-être été amoureuse en cachette, d'Ophélie puisque apparemment, Ophélie, n'était pas dure à démasquer.
    Plein de mystères auxquels, on ne peut répondre. Dommage.
    Dommage ne pas connaître la version de cette dame.
    En tous les cas joli partage, Marianne, J'adore aussi l'illustration.

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    1. Oui, beaucoup de questions auxquelles personne ne peut répondre! Pas même ophélie, à cette époque!
      Mais c'est une belle lettre, pleine d'audace!

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