Une mal baisée

 

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Elle adorait aussi les brosses à cheveux, avec leurs matières de grande qualité et leurs formes spécialement bien étudiées pour offrir le meilleur brossage. Elle aimait leur manche en merisier très doux, leurs soies naturelles et leur picot à bout rond. Néanmoins, elle ne les trouvait pas seulement belles, et sa collection ne lui servait pas qu’au seul plaisir de se coiffer. En réalité, quand elle était complètement déprimée et qu’elle en avait assez de se demander, sans pouvoir se donner de réponse, ce qu’elle faisait sur la terre, elle aimait introduire délicatement leurs manches entre ses cuisses pour se donner du plaisir.


Pulpeuse et désirable, elle posa ses pinceaux et se leva. Chaussée de ses sandales, elle vint se poster devant sa psyché. Manifestement, la maison était silencieuse. Le locataire n’était toujours pas rentré! Pour elle-même, elle exhiba ses beaux seins, ses longues jambes soyeuses et ses jolies fesses. Mais, elle trouva qu’il y avait quelque chose d’impertinent et d’indécent dans son regard. Tous seins dehors, elle eut encore l’insolence de se regarder dans les yeux. C’est alors qu’elle reprit son bâton de rouge et qu’elle caressa ses lèvres avec. Aussitôt, elle crut se transformer en bombe sexuelle. Elle eut alors la certitude que, demain, elle ferait flasher comme des malades tous les hommes dans la rue. Du grain de beauté sous ses seins à ses cuisses fuselées, en passant par les mouvements de sa crinière, ils prendraient tout d’elle et baveraient comme des animaux en rut... Elle aimait penser cela.


Mais, à force, elle ne savait plus ce qu’elle faisait. Elle devenait confuse. Elle vit qu’il était près de cinq heures. Elle se sentit terriblement fatiguée, mais trouva encore la force et le courage de se démaquiller consciencieusement, consciente que ce geste indispensable apporterait à sa peau une bouffée d’oxygène. Propre et fraîche, elle serait ainsi prête à absorber les produits de soin. Alors, avec application, elle se mit à nourrir toute la surface de son corps copieusement avec une crème de nuit riche en agents hydratants et fortifiants contenant de la vitamine E ou une autre substance antioxydante. Elle savait que cela renforcerait l’action d’une enzyme produite par son corps pendant la nuit et dévoreuse des radicaux libres nocturnes. Elle veilla à étaler sa crème sur son cou, ses seins, son ventre et ses cuisses, puis elle alla se coucher, en attendant le sommeil. 


Autour d’elle, tout était silencieux. Le locataire n’était toujours pas rentré. Il ne rentrerait sans doute pas. Il n’était pas possible qu’elle ne l’eût pas entendu. En s’abandonnant au sommeil, elle eut alors l’impression que ses traits se détendaient. Un instant, elle songea que pour rester belle, elle avait tout testé : les masques au concombre, les crèmes à l’ADN, les sérums liposomés, jusqu’aux silicones high-tech. Pour elle, assurément, les radicaux libres ne passeraient pas, pas plus que les décibels!


Au réveil, vers dix heures, elle retrouva sa peau. Il lui semblait qu’elle n’était pas assez ferme, lisse et éclatante. Avant de se remaquiller, elle se laissa tenter par un savon aux fragrances très subtiles, après quoi elle s’enduisit d’une crème de jour qui saurait atténuer ses rides et ridules et donner à sa peau éclat, beauté et jeunesse. Enfin, elle descendit dans la cuisine où elle retrouva sa sœur.

— Tu as bien dormi? Demanda Alix.

— Je n’ai pas pu fermer l’œil de la nuit, répondit Virginia, soudain maussade, c’était vraiment l’enfer!


Elle cherchait la cafetière.

— Pourquoi?

— Ne fais pas l’idiote, tu le sais très bien!

— Encore ces bruits!

— Fous-moi la paix et ne m’en parle pas, je t’en prie. C’est préférable!

— Tu es vraiment assommante, à la fin! Tu es complètement folle! Tu sais très bien qu’il n’y a aucun bruit, du moins, rien que des bruits normaux, et que l’appartement est parfaitement insonorisé!

— C’est ça, fais-moi interner! Comme ça, je te débarrasserai complètement le plancher!


Alix commençait à en avoir assez. D’abord calme et contenue, elle finit par s’énerver. Elle insulta sa sœur. 

— Tu n’es qu’une mal baisée, lança-t-elle, si tu crois que je ne sais pas ce que tu fais quand tu es toute seule dans ta chambre!

— Qu’en sais-tu? Pauvre dingue, tu me surveilles, maintenant? répondit Virginia, l’air méchant.

— Non, mais je t’ai vue!

— Parce que toi, tu baises! Je voudrais bien voir ça! Oui, vraiment! Mais, j’ai ma petite idée là-dessus!


Virginia alla bouder dans un coin de la cuisine. Elle avait toujours été la fille préférée de sa mère. Un jour, après une brusque perte de conscience, au moment où ses esprits lui revinrent, sa mère lui reprocha d’avoir profité de son évanouissement pour flirter avec un petit voisin de son âge. A la suite de cette crise, le caractère de sa mère empira. Elle devint de plus en plus jalouse et ne cessa de lui reprocher toutes sortes de liaisons avec des garçons virtuels. Elle l’insultait froidement, la traitait sans arrêt de salope et se comportait de manière si dure avec elle, qu’à dix-sept ans, la jeune fille décida de quitter le domicile parental. 


Soudain, les deux sœurs se retrouvèrent face à face. La rage de Virginia devint si forte qu’elle attrapa les cheveux de sa sœur et que l’envie la prit de la frapper.

— Fous le camp! hurla Alix, en se débattant. Fous le camp, si tu ne te plais pas ici! J’en ai marre, à la fin, de tes jérémiades à n’en plus finir, à cause de ces bruits qui n’existent que dans ta tête!


(...)


Ophélie Conan

"Le locataire"

in "Mœurs étranges des fille d'Hécate"


Toutes les illustrations de ce fragment d'une nouvelle d'Ophélie (que j'adore) sont des tableaux de Mark Ryden (né en 1963), à l'exception, vous vous en doutez, des n° 3, 7, 11, 13, 17, 21, 22, 25, 31, 33, 34, 35, 36. J'ai plaisir à regarder, souvent intriguée, les inventions de ce néo-surréaliste très kitsch, qu'il ne faut évidemment pas confondre avec Walt Disney...

Marianne



Commentaires

  1. J'en aurais lu davantage, complètement envoûtée. Quel style! Les tableaux de Mark Ryden sont à observer en détails : ils sont riches de symboles. Il y a de mystérieux bébés dans un nid, beaucoup de symbolique sur la gauche avec des serpents, parfois un squelette. Un peu de cocasserie dans des représentations fin XIX ème du Christ ou de Marie dont le message subliminal interroge. Ophélie a même trouvé un crucifié qui semble jouir : c'est vraiment signé Ophélie!!! Bref, je me suis bien amusée. Merci pour cet article!

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    1. Oui, Mark Ryden est un peintre très très étrange, à la fois conventionnel et cucu dans la forme, mais redoutable dans le fond!

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    2. Oui, Marianne, l'apparence est un peu " cucu " mais c'est ce qui conduit à chercher les symboles de ce peintre. A part cela, j'ai eu un blocage sur Overblog où je voulais poster un article aujourd'hui : j'ai écrit à ma filleule et tes commentaires m'ont aidée. L'article d'hier n'a pas posé de problème lors de la publication. Je verrai par la suite si mon blog se débloque. Il est plus ancien que celui d'Ophélie mais ne s'était pas encore mis en transes. " Les filles d'Hécate " devaient être publiées sur le premier blog d'Ophélie.

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    3. Oui, "Les filles d'Hécate" étaient publiées sur le premier blog d'Ophélie!

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  2. Le style de ce texte est très différent de ce que j'ai pu lire d'Ophélie jusqu'à présent.
    A part cela, le gif 3 est très beau et excitant...
    Bise et bon weekend, Marianne.

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    1. Celui-ci est un texte que j'aime bien, qui donne dans le fantastique. Oui, le gif 3 est merveilleux et donne envie!
      Bon dimanche, Phil. Je t'embrasse.

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  3. Hé, hé....encore la brosse à cheveux.
    Pourquoi as-tu choisi, Marianne, de republier ce texte ?
    Deux sœurs ados qui se méprisent et qui sont à la recherche apparemment de l'amour.
    En attendant, l'une d'elle, solitaire, se donne à de drôles de jeux
    et semble ne pas se trouver désirable.
    Pour les illustrations, oui, drôle de peintures de Mark Ryden que je ne connaissais pas.
    Intriguant avec ses visages enfantins.
    J'aime bien tous les autres choix qui ne sont pas de lui.

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    1. Pourquoi j'ai choisi cet extrait de ce texte? Parce que je l'aime beaucoup. Il y a beaucoup d'ambivalence de la part de Virginia qui, en fait, aime sa sœur (elles font l'amour à la fin). C'est une fille névrosée, pleine de conflits internes, qui me fait penser à ce qu'était Gaëlle, au début.

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    2. La brosse à cheveux venait de cette nouvelle? L'histoire des garçons virtuels et de la mère chiante conduite à envisager l'ambivalence que tu évoques, Marianne, et la liaison des deux soeurs est déjà esquissée. Cette nouvelle est amusante : les bruits nous permettent de penser à toutes sortes de choses, et les produits de beauté pour garder la peau sans ride me semblent un grand rire sur le marché officiel et les idées pittoresques.

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    3. Merci Marianne pour ta réponse...et Gaëlle a trouvé, maintenant son idéal, et fait aussi l'amour avec ses sœurs, il me semble.

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