La solitude de Bobby

 

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

26

27

28

29

30

31

32

33

34

35

36

37

38

39

40

41

42

43

44

45

46

47

48

49

50

51

52

53

54

55

(...)


A présent, Bobby se tenait à distance. Il continuait de les regarder, mais, dommage, elles ne faisaient plus rien. Elles restaient étendues sagement l’une à côté de l’autre sans rien se dire. Il aurait encore voulu les voir se toucher comme tout à l’heure, mais plus rien ne se passait. Bobby se dit que ce qu’il avait vu était tout de même bien bizarre. Marie-Odile n’était pas, comme il l’avait supposé, une simple amie, mais plutôt une amoureuse de sa mère. Comment cela était-il possible? Sa mère aurait-elle quitté son père pour se remarier avec Marie-Odile? Une femme pouvait-elle se marier avec une autre femme et faire l’amour avec elle comme font un papa et une maman?


Bobby était vraiment très intrigué. Soudain, il vit sa mère se lever.

— Bobby Lapointe! Viens t’habiller, cria-t-elle, on s’en va! 


L’enfant n’aimait pas ce nom étrange dont sa mère l’affublait trop souvent, d’autant qu’il n’en comprenait pas le sens, sa mère n’ayant jamais voulu lui expliquer. La pointe? La pointe de quoi? Il se leva et s’approcha des deux femmes. Sa mère, étrangement, n’avait plus l’air en colère. Bobby enfila sa chemisette et ses sandales et, prêt le premier, regarda les deux femmes enfermer leurs boites à lolo dans de puissants soutiens-gorge et leurs fesses dans des culottes. Sa mère cacha le tout sous une jolie robe en coton, et Marie-Odile sous un jean percé au genou et un tee-shirt.  


Comme Bobby s’amusait à soulever du sable en marchant dans les dunes, sa mère, excédée, finit par lui envoyer une gifle sans le prévenir. Il se mit à pleurer. Sa mère lui ordonna d’arrêter, sinon elle lui en remettrait une seconde. Rien y faisait. Bobby pleurnichait à chaudes larmes, de plus en plus fort, ne se lassant pas de répéter:

— Je vais le dire à mon papa! Je vais le dire à mon papa!


Marie-Odile, derrière lui, réjouie du malheur de l’enfant, ricanait. Avant de monter dans l’auto, elle le tança:

— Vraiment, mon pauvre Bobby, tu es le roi des chieurs! 


Bobby, n’y tenant plus, lui renvoya rageusement:

— Salope!


Sa mère, d’un revers, lui retourna une seconde gifle:

— Ça t’apprendra à être malpoli avec Marie-Odile, espèce de petit monstre!


Dans l’auto, Bobby continua de pleurnicher. Les deux femmes, silencieuses mais tendues, contenaient leur énervement. Il sembla à Bobby que Marie-Odile faisait la gueule à sa mère. Sa mère conduisait nerveusement, pinçait les lèvres.


Arrivés à la maison, du jardin où il s’était recroquevillé sous des hortensias, Bobby entendit par la fenêtre ouverte de la cuisine:

— Chérie, je ne te comprends pas! Pourquoi t’obstines-tu à emmener ce sale gosse avec toi en vacances! Il est carrément infect! Tu n’as qu’à le laisser chez son père puisqu’il a voulu sa garde!


C’était Marie-Odile, cette vipère, qui pissait son venin. Sa mère répondit: 

— Ce n’est pas si simple, ma chérie! C’est quand même mon enfant! Et sur l’année, ça ne fait pas tant que ça, seulement un mois de vacances!

— Mais, ce petit con nous fait mener une vie d’enfer! On ne peut jamais être seules et tranquilles!

— Je sais bien, ma chérie! Ça me désole aussi, crois-le bien! Je m’en veux de t’imposer la présence de ce petit monstre, mon amour!

— De quoi aurais-tu peur, si tu le laissais toujours chez son père? De ce que les gens diraient? Qu’ils racontent qu’une mère qui n’élève pas son gosse est une mère indigne? 

— Son père serait ravi, tu sais! Et je n’ai aucune envie de lui faire ce plaisir! Je sais qu’il souffre d’être privé de son fils pendant ce mois d’été!

— Mais qu’est-ce que tu en as à foutre? Hein? Tu ne l’as jamais voulu ce chiard? C’est lui qui te l’a fait! A lui de l’assumer! Et puis, pourquoi veux-tu qu’il nous colle sans arrêt? Laisse-le aller où il veut, laisse-le voir ses copains sur la grande plage, puisqu’il le demande!

— Mais… S’il lui arrive quelque chose! Cette plage est très loin!

— Qu’est-ce que ça peut faire! Que veux-tu qu’il lui arrive? Pendant ce temps-là, il nous fichera la paix!

— J’ai peur qu’il se noie! Qu’il se fasse enlever! Je ne sais pas, moi! Je te dis pas le ramdam que ferait son père, si…


Bobby avait séché ses larmes. Il se sentait fort, maintenant. Il entra en trombe dans la cuisine et martela qu’il voulait immédiatement téléphoner à son père, l’air décidé.

— Je vais tout lui raconter!


Évidemment, sa mère et Marie-Odile s’y opposèrent. Bobby se remit à trépigner et reçut deux nouvelles claques. Durant tout le repas, en guise de représailles, il fit la grève de la faim. Mais l’effet fut nul, car sa mère se souciait peu qu’il mangeât ou non. En débarrassant la table, elle lui lança, comme un filet de vinaigre:

— Lapointe, va au lit!

— J’m’appelle pas Lapointe, j’t’ai déjà dit! Et j’ai pas envie de dormir! Et pis, y’a un cirque au village, ce soir, j’ai envie d’y aller! Jonathan et Gaétan y vont, eux!

— Qu’en sais-tu? D’abord, il est trop tard! Va au lit, Lapointe, je te dis, et débarrasse-nous immédiatement le plancher, on a envie d’être tranquilles avec Marie-Odile, sans toi! Tu peux comprendre ça, au moins, espèce de petit connard?

— Pourquoi tu m’as fait venir, alors? rétorqua Bobby, en se redressant comme un petit coq, je préfère rester avec papa! C’est papa que j’aime. Lui, au moins, il est gentil avec moi.

— Ton père est un con, un pédé, comme toi!


Au même instant, le téléphone résonna. Marie-Odile décrocha, porta l’écouteur à son oreille et, regardant son amie:

— C’est son père! dit-elle.

— Passe-le lui!


Bobby attrapa le combiné et écouta son père. Il sourit.

— Oui, ça va! répondit-il, ça va bien, je vais à la plage tous les jours avec maman. Je m’amuse bien avec Gaétan et Jonathan!


(...)


Ophélie Conan

Extrait de "Les vacances de Bobby", nouvelle que l'on peut lire en Kindle dans "No man's land II"


J'ai fait précéder ce texte d'Ophélie que je trouve très violent par les nostalgiques tableaux du peintre américain Edward Hopper (1882-1967). On les reconnaîtra facilement en n°1, 3, 4, 7, 8, 11, 12, 14, 15, 18, 19, 24, 26, 29, 31, 33, 39, 41, 42, 46, 47, 49, 51, 52, 53. Hopper est un réaliste de la vie urbaine new-yorkaise qui se sert du vide des décors et d'une étrange lumière contrastée qui se plaque sur eux, pour nous faire vivre le silence et la solitude des individus figés qu'il représente. Les tableaux de Hopper me mettent mal à l'aise, mais je les aime quand même.

Marianne




Commentaires


  1. Effectivement, le texte est difficile à lire pour celui qui aime les enfants. Le pauvre Bobby !...
    Heureusement, les illustrations aident à supporter cette ambiance pesante.
    Les tableaux d'Edward Hopper, mais aussi toutes ces magnifiques vulves.
    Joliment gonflées comme les n°9, 40 et 48.
    Délicieusement charnues comme les n°2, 13, 32 et 45.
    Amoureusement comblées comme les n°17, 23, 25, 27, 30, 36 et 38.
    Mais celle que je préfère, c'est la 50, avec son magnifique clito qui donne envie de le cajoler avec la langue. Un régal pour les yeux et la bouche.
    Merci Marianne.
    Bise.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je me rends compte que j'ai illustré ce texte avec beaucoup de vulves. Mais tu as raison, Phil, toutes ces vulves merveilleuses nous aident certainement "à supporter l'ambiance pesante" du texte. Je partage aussi ton attirance pour la 50. Merci et bise.

      Supprimer
  2. Le texte m'a beaucoup touchée et Bobby me fait penser au " sagouin " de Mauriac, enfant détesté par sa mère qui n'aime pas non plus son père. Mauriac réglait sans doute des comptes. Il aurait attendu dix ans pour rédiger un nouveau roman. La fin du roman de Mauriac est très sombre ( tu l'as sans doute lu, Marianne ). Bobby ne comprend pas et comprend : je ne m'attendais pas à la chute où il ment au téléphone comme s'il était pris entre deux adultes à protéger ( ses deux parents ). Il y a une part de lui qui est morte et cela va avec les tableaux très statiques.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, j'ai lu ce texte de Mauriac et c'est vrai qu'on peut penser à Guillou. En attendant, j'aime bien ton analyse de la situation de Bobby qui, comme beaucoup d'enfants maltraités, veut protéger ses bourreaux. N'est-ce pas un peu le syndrome de Stockholm? Oui, cette part morte de lui-même va bien avec l'arrêt sur image des tableaux de Hopper.

      Supprimer
  3. Oui, un texte très dur. On a pitié de ce Bobby et on se demande comment Ophélie pouvait écrire de telle violence.
    Je trouve aussi bizarre la fin, quand Bobby a l'occasion de tout révéler à son père. La peur des représailles des deux femmes, sans doute.
    Je vois Marianne que tu refais toute la bibliothèque d'Ophélie. J'en ai lu quelques livres, mais pas tous. Peut-être cet hiver, pour le reste.
    J'aime assez les dessins d'Edward Hopper, simples, naïfs, colorés avec, c'est vrai, pour la plupart, en toile de fond, la solitude.
    Ce qui n'est pas le cas de tes autres photos choisies, Marianne, la coquine. En dehors, des belles chattes que tu nous présentes, ce sont de très beaux duos actifs qui séduisent mes yeux.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ophélie n'était pas du tout naïve et connaissait la violence dont étaient capables les êtres humains, et elle ne se mettait en dehors d'eux en se décrétant pure et détentrice d'une "belle âme". Pour elle, la quête du beau dans l'art et dans l'amour, était un moyen de sublimer cette violence en nous, et de ne pas tomber sous son emprise.

      Supprimer
    2. Marianne, je n'en doute pas un instant qu'Ophélie avait une belle âme, et ne la croyais en aucun cas naïve.
      Ophélie était une belle et bonne personne, je le répète assez. Comme vous toutes, je pense, dans ce presbytère.
      En fin de compte, dans ce texte, elle dénonce cette violence, ni plus, ni moins.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Le monde d'Ophélie

Contrefaçon

Fin de soirée

Chic! Chic! Hourra!

Petites et grandes manœuvres

Sixtine

Petites collectionneuses

Jolies poupées

Nuages

Lilith