Le 17 mai dernier, j'ai eu 46 ans et, dieu merci, l’on m'en donne beaucoup moins, mais ce n’est là qu’un sursis. Le temps inexorablement fait et continuera de faire son œuvre. Même si, jusqu’à présent, il m’a beaucoup épargnée, cela ne durera pas. Mon corps inexorablement deviendra celui d’une vieille femme. Ma peau se flétrira, se crevassera, se couvrira d’angiomes, deviendra immonde. Mes seins tomberont. Mon corps n’inspirera plus ni désir ni amour, et me mettre nue me deviendra insupportable. Je serai une vieille locomotive impotente, incapable de me bouger moi-même. J’ai vu ça en m’occupant de petites mamies dans la maison de retraite où j’ai travaillé en 2009.
Parfois, je me dis qu’il vaudrait mieux mourir plutôt que de connaître ce lent sabotage du temps, sabotage qui nous métamorphose imperceptiblement, en une chose usée, moche et inutile. Mais non, je tiens trop à la vie pour me tuer, je tiens trop à ce que je crois être encore ma jeunesse qui me fait vivre dans le déni. Je me dis que je suis encore jeune, encore belle, encore vive et pleine de forces, et cette pensée que je vais devenir vieille, que je suis déjà vieille, je la juge folle et déraisonnable. D’autres fois je me dis: tant pis les rides, tant pis les seins qui tombent, tant pis les fesses qui s’avachissent, c’est la vie qui s’en va, et après? Sommes nous si importants sur cette terre pour nous pencher si gravement sur le sort de notre petit nombril? Et puis, certainement n’y a-t-il pas de la beauté chez la femme âgée, et même chez la petite vieille?
Sans doute est-il plus sage de prendre des distances avec un idéal de beauté fabriqué de toutes pièces par les médias. Tout le monde sait que derrière la photo d’un corps de rêve, il y a toute une équipe de décorateurs, de maquilleurs, d’éclairagistes, tout un art de faire poser le modèle, avec, au final, la magie de Photoshop pour corriger les éventuelles et dernières imperfections. La beauté féminine est diverse, mais malgré tout s’impose une forme idéale, la Barbie: taille fine, poitrine avantageuse et ferme, longues jambes, ventre plat, lèvres charnues. Autrement dit, moi. Hum, hum. Je tousse mon Coca!
Eh oui, l’image se détériorera. Le destin de la forme est de se déformer. C’est pourquoi il faut résister à la dictature de la beauté, ne pas se laisser emporter par ce tourbillon insensé du toujours plus mince, toujours plus ferme, toujours plus lisse, toujours plus jeune. J’essaie de ne pas tomber dans les extrêmes, mais quand même, je dois être honnête, je crains la suite, et, pour l’instant, je me soigne, je me bichonne, je me ménage, je m’impose une hygiène de vie qui, je l’espère, ralentira mon vieillissement. Je ne fume pas, je cours, je fais de la gym, je baise, et je ne me maquille pas tous les jours pour continuer de me reconnaître au réveil, sans fard ni artifices. J’observe mon corps, j'essaie d'en accepter l'évolution pour ne pas me réveiller, un beau matin, à soixante quatre ans, complètement paniquée par des seins tombants et une peau affreusement ridée.
Me conserver en bon état ne me rend pas plus heureuse, mais me permet de croire encore à mon potentiel de séduction, et quand je me sens plus séduisante, cela m’aide à me sentir plus heureuse. C’est sûrement idiot, mais je serais bien déçue si mes jeunes amoureuses me faisaient des remarques sur l’apparition d’un petit bedon ou sur des fesses un peu trop flasques! Ah! vanité féminine! Pourtant, c’est vrai, aimer quelqu’un, c’est l’aimer tel qu’il est, avec ses défauts, son petit ventre, ses poignées d’amour, ses seins qui pendent, ses cuisses adipeuses ou trop maigres. C’est vrai, le sentiment amoureux n'a rien à voir avec le tour de hanches, le cou qui vieillit, les dents qui jaunissent ou la coupe de cheveux, mais c’est aussi offrir un beau cadeau à l’autre que de lui offrir un corps séduisant qui le fait rêver. Le plus beau cadeau n’est-il pas d’offrir du rêve?
Heureusement, c’est beaucoup plus facile quand, à la maison, comme nous, on est trois filles. Ensemble, on se fait de la prévention mutuelle, on s’observe, on se critique, on se donne des tuyaux, des recettes. Plus particulièrement, nous soignons notre visage, et justement notre cou, notre décolleté. Par exemple, quand nous allons au soleil, nous lui appliquons rituellement de la crème solaire. Et lorsqu’on se démaquille, on se démaquille ensemble le cou. Idem pour les soins du jour et ceux du soir. Car le cou d’une femme est ce par quoi la vieillesse est immédiatement visible. Pourtant le cou adore les masques et un gommage léger, mais il faut lui appliquer celui du visage et non celui du corps. Aussi nous nous massons très souvent le cou du bas vers le haut, pour mieux contrarier la pesanteur, avec des mouvements souples qui évitent la trachée artère. Et nous n’oublions évidemment pas l’arrière du cou ainsi que les oreilles. C’est pourquoi il nous arrive de faire d’horribles grimaces pour dynamiser les muscles de notre cou et de notre décolleté qui nous font éclater de rire comme des malades mentales. Bien sûr, nous n’oublions pas non plus les crèmes anti-âge pour le visage!
Bon, j'ai dit assez de conneries, la vie est belle et le bateau coule.
Ophélie Conan
le 14 mai 2014, dans "Conan la barbare II".
Paru également dans "La dérive".
C'est dur de vieillir et encore plus dur de mourir.
RépondreSupprimerC'est vrai que l'on s'interroge souvent, surtout quand on avance dans l'âge,
de l'emprise du temps sur nous. Et alors?
J'aurais aimé qu'Ophélie puisse vivre ça, car je suis sûr, qu'elle aurait été
une très belle vieille Dame.
En ce qui concerne les illustrations, j'adore la 24.
Elle respire les vacances de bord de mer, et aussi, à travers ce beau sein généreux dévoilé,
pour l'une, la chance de le découvrir, et pour l'autre, dans son regard, le désir du comment il va être "dévoré".
Sa mort prématurée par accident lui a épargné la vieillesse. Je ne sais comment elle aurait pris cette évolution qu'elle connaissait bien pour s'être occupée de beaucoup de "vieilles petites mamies". Bien, sans doute, malgré son amour pour la beauté de la jeunesse.
SupprimerOui, la 24 est bien. Le sein dévoilé est généreux, et la complicité des deux filles est merveilleuse.
Finalement, sa grande peur ne se sera pas réalisée. Ne pas avoir la chance de vieillir jusqu'à cette extrémité tant redoutée est une maigre consolation.
RépondreSupprimerSi le temps semble avoir moins de prise sur certaines, d'autres ne craignent pas l'autre temps, le météorologique (gif 14).
D’accord avec toi pour la photo 16 : Superbe !
J'aime aussi beaucoup la 21 pour une autre raison : Le risque pris dans le musée.
Et la 26 me plait aussi. La captive ne se débat pas beaucoup avec ses jambes libres...
Belle soirée, Marianne.
La bise.
Oui, sa grande peur ne se sera pas réalisée. Mais tu as raison, c'est une maigre consolation, je crois qu'Ophélie aurait quand même voulu devenir vieille, rien que pour voir grandir sa petite fille Kali...
RépondreSupprimerLa météo, c'est effectivement l'autre temps, mais ce temps du ciel est comme le temps des horloges, il est invincible, et c'est toujours un jeu passionnant que de vouloir le braver comme cette fille de la photo 14.
Oui, la 16 est superbe.
Non la captive de la 26 ne se débat pas beaucoup, mais c'est sans doute parce qu'elle aime, non?
Merci pour ce commentaire et bise à toi, Phil.
La vision des maisons de retraite risque d'être celles de personnes non autonomes, et aucun d'entre nous ne souhaite se déplacer avec un déambulateur ni surtout avoir la maladie d'Alzheimer. Mon intuition me conduit à croire qu'Ophélie savait découvrir la beauté au-delà du handicap. Elle avait aussi ce regard du coeur qui décèle le fond de la personne. La maladie d'Alzheimer me semble l'épreuve la plus dure pour l'intéressé qui en a conscience et pour ses proches. Apprendre à entrer en relation est plus complexe. Il est normal de craindre le vieillissement dans la souffrance, mais beaucoup de gens âgés gardent leur personnalité, leur humour, leur beauté. Ophélie le savait mais elle avait autre chose à vivre, hélas! Elle vivait l'instant à fond et c'est la meilleure façon de vivre en harmonie.
RépondreSupprimerMerci Elisabeth, tu dis mieux que moi ce qu'Ophélie devait penser sur ce sujet. Je t'embrasse.
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