La rencontre de Lulubelle III et de Marie-Angélique



Marie-Angélique sortit sans rien ajouter et se retrouva dans le couloir où se trouvait une vache, une vache blanche avec des taches marron, qu’elle pouvait voir de trois-quarts arrière, avec sa tête dirigée vers elle, qui la regardait.

— Bonjour Lulubelle III, que fais-tu donc ici?

— Je suis sortie de la pochette d’Atom Heart Mother, répondit la vache, je me promène…

— Mais le couloir d’un monastère n’est pas exactement l’endroit idéal pour la promenade d’une vache! Pourquoi as-tu quitté la verdoyante prairie de ta pochette?

— Je m’y ennuyais. J’en avais assez. Et toi? Que fais-tu dans ce couloir? D’abord comment t’appelles-tu?

— Je m’appelle Marie-Angélique, et je vais bientôt devenir nonne. Je sors de chez mon higoumène qui m’a mis la chatte  en feu.

— Ah bon! Qu’est-ce qu’elle t’a donc fait?

— Heu… Elle me l’a enduite de koyo et… Elle m’a fait toutes sortes de choses vraiment très agréables.

— Mais sûrement pas très orthodoxes!

— Tu as raison… Mais c’était fort agréable…

— Comment est-elle ton… Comment tu l’appelles?

— Mon higoumène?

— Oui, ton higoumène!

— C’est une femme peule, très belle! Tu connais les Peuls?

— Non. Et toi?

— Moi non plus, je ne les connais pas, je ne connais qu’elle. Elle dirige et administre notre communauté… A propos, je vais porter la coiffe noire très bientôt, et on va me tonsurer les cheveux, et aussi le zizi devant tout le monde!

— Ah oui. T’es contente?

— Voui, et puis mon Higoumène m’aime! Et toi? Tu es contente?

— Meuh! Oui.

— Mais pourtant, tu es une bête à viande! Tu n’as pas peur d’être mangée, un jour?

— Ma foi non. Ça fait des dizaines d’années que je suis sur la pochette et il ne m’est encore rien arrivé de fâcheux. Pas d’abattoir en vue.

— Oui, mais maintenant que tu es sortie de la pochette?

— C’est vrai, mais j’ai quand même un statut particulier. C’est pas désagréable un statut particulier! Je préfère ça que d’entrer dans une économie rationnelle de marché comme ils disent!

— Dans ce cas, tu as vraiment de la chance Lulubelle! Ah! Quand je pense à toutes tes consœurs, c’est horrible! Et toi, tu es pour quoi, l’abattage par égorgement ou bien par étourdissement?

— Ma foi, Marie-Angélique, je n’en sais rien, je ne me suis jamais posé la question, tu sais, sur ma pochette…


Elles traversèrent diagonalement le cloître, et se retrouvèrent dans la grande cour où s’élevaient le réfectoire, la cuisine, les entrepôts et les granges. Quand elle aperçut la lune, Lulubelle se mit à beugler de toutes ses forces. La lune paraissait très brillante dans un ciel sans nuage. Peut-être de satisfaction, Lulubelle en profita pour faire une jolie bouse.

— Ça va mieux, dit-elle, mais il y a une chose que je ne comprends pas, c’est pourquoi vous dites toujours, vous les humains: « A chacun son métier, et les vaches seront bien gardées. », qu’est-ce que nous avons à voir avec vos métiers?

— Bof, c’est une expression, Lulubelle. On disait ça du temps où il y avait des bergers qui gardaient les vaches!

— Ah oui. Et toi, si j’ai bien compris, tu veux faire le métier de nonne?

— En fait, c’est pas vraiment un métier!

— Qu’est-ce que c’est? Vous faites quoi les nonnes?

— Bah! On vit entre sœurs et, chaque jour, on partage des temps de prières, de repas, parfois on fait des travaux communautaires. Souvent on se réunit pour célébrer la louange de Dieu et intercéder pour le salut du monde.

— Et ça marche?

— Je sais pas, je n’ai pas vraiment de retour!

— Et parfois vous faites l’amour?

— Oui, entre nonnes. Faut dire que c’est pas facile pour une jeune fille… de…

— A propos d’amour, interrompit Lulubelle, je me demande bien aussi pourquoi les humains parlent d’amour vache. Tu connais le rapport qu’il y a entre l’amour et les vaches?

— Là aussi je ne sais pas… C’est quand deux personnes, malgré leur violence physique et verbale, s’aiment quand même! Quand elles sont vaches l’une envers l’autre…

— Oui, mais pourquoi dit-on qu’elles sont vaches? C’est bizarre! C’est même offensant, à la fin… Les vaches ne sont pas vaches, elles sont gentilles! C’est une idée imbécile d’humain!

— Tu as raison, Lulubelle, les humains sont bêtes.

— Meuh! Meuh! beugla soudain Lulubelle, je suis la dame de vie et de la beauté, la mère des mères, la maîtresse de la danse et de la vulve, je suis tout l’or du monde… Euh! Meuh! Allons, viens, Marie-Angélique, allons vivre l’ivresse de l’amour! Viens, ma chérie!


A ces mots, Lulubelle III détala et se mit à gambader joyeusement, elle cabriolait dans la grande cour en beuglant encore à qui mieux-mieux: Meuh! Meuh!

— Attends-moi! criait Marie-Angélique, attends-moi Lulubelle! Ne m’abandonne pas!


Mais la vache avait disparu dans le cloître. Marie-Angélique l’entendait encore beugler, et de plus en plus fort. Elle va réveiller ou alerter toutes les nonnes et toutes les novices, et aussi mon Higoumène, se dit Marie-Angélique. Mon dieu, que va dire ma mère si elle me trouve ici, au beau milieu de tout ce tapage?


Il ne se passa rien. Les portes ne s’ouvrirent pas. Un grand silence régnait sur tout le monastère. Marie-Angélique n’entendait plus les beuglements presque féroces et voluptueux de Lulubelle. Elle la chercha encore, mais en vain. La vache blanche aux taches marron, qui parlait si bien le français, avait disparu.


Fatiguée, la novice s’assit sur un muret et, soudain, eut encore envie d’amour, mais aussi de joie, de vin, de musique et de danse. En attendant tous ces plaisirs, elle ouvrit sa longue robe noire pour libérer ses seins et commença à caresser sa fentine. 

— Je suis bien heureuse, pensa-t-elle, en frottant son doigt, ma mère m’a dit que j’étais belle! C’est vrai, je me vois, je suis la dame du sycomore du sud et la souveraine de la nécropole de l’Occident. Et je me vois aussi très bien en dame des écrits, ce que je suis du reste, oui, en souveraine des bibliothèques, et aussi en déesse aux manifestations innombrables… Mais… Oh! Que m’arrive-t-il? Mon Dieu, que m’arrive-t-il? 


Comme une onde, sa peau se couvrit d’un pelage blanc avec des tâches marrons. Des cornes lui poussèrent sur le front et, comme une montgolfière, elle enfla, elle enfla et se retrouva sur quatre pattes, avec des sabots, à fouler le gravier de la cour. Très surprise, Marie-Angélique s’entendit beugler: Meuh! Meuh! Meuh!


Ophélie Conan


(Extrait de la nouvelle "Un statut particulier", parue dans "Conan la barbare II", et non encore éditée en Kindle).

 

Commentaires

  1. Ophélie avait une drôle d'imagination ! Se shootait-elle au lait de vache non-pasteurisé ?

    En tout cas, l'apparition de cette étrange vache a entrainé la réapparition des notifications. Et sur mes deux adresses (Google et GMX). J'en beugle de satisfaction...

    Bise et belle soirée à toi.

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    1. Je ne comprends pas très bien comment Lulubelle a pu entraîner la réaparition de tes notifications! Mais si cela te rend vachement content, c'est très bien!
      Je t'embrasse.

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  2. Fascinant, Ophélie! L'higoumène peule est très excitante, et la chute du texte pourrait donner un titre comme " l'art de retomber sur ses pieds " mais je veux des détails sur ce monastère dirigée par une peule apparemment orthodoxe, espèce très rare si mes informations. N'es-tu pas higoumène, Ophélie? Nous aurons la suite puisque ce n'est qu'un extrait de ta nouvelle : j'adore!

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    1. Oui, je ne sais pas où Ophélie est allée chercher cette histoire d'higoumène peule qu'elle croise avec la vache de la pochette d'un album de Pink Floyd... Ce sont tes écrits saugrenus, Elisabeth, qui m'ont fait penser à cette histoire. L' extrait est situé à la fin de sa nouvelle. Je publierai le début, sans doute plus tard.

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  3. Ne serait-ce pas la pochette des Pink Floyd qui aurait inspirée Ophélie,
    pour ce conte invraisemblable.
    Et c'est vrai qu'il y a des expressions bizarres autour des vaches.
    On peut comprendre "les vaches seront bien gardées",
    mais "l'amour vache..."
    Bref, Ophélie, a voulu humaniser cette bestiole de jolie manière,
    avant de bestialiser (j'invente, je ne sais pas s'il y a un mot pour ça),
    la nonne en vache.
    Par contre, il faut faire attention !
    Bien sûr on peut voir de jolis troupeaux de vaches lesbiennes dans nos prés,
    mais des fois, il peut s'y cacher un taureau...
    Quoi qu'il en soit j'ai aimé ce conte, en forme de dialogues, avec sa pointe d'humour.

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    1. Oui, je crois que la célèbre pochette de Pink Floyd a inspiré Ophélie... Mais c'est vrai aussi , tu as raison, qu'on voit souvent des vaches lesbiennes dans les prés. C'est aussi ça qui a inspiré Ophélie. Et naturellement ce qu'on raconte dans les monastères de nonnes!

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