La femme de nulle part

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Au moment où le feu repassa au vert, Isabelle décida brusquement de s'emparer de la jolie poitrine bien tendue qui s'offrait à elle. Evaristo, conscient de ses devoirs d'automobiliste, relança sa berline, cherchant néanmoins, mais vainement, à recueillir quelques bribes d'images dans son rétroviseur. Il n’y reçut que des fragments qu’il eut peine à reconstituer, ce qui lui confirma que l’homme, par comparaison à la femme, était bien l’être le plus démuni, parce que le plus affecté par ce foutu et inévitable processus de réflexion qui fabrique de la différenciation psychologique! Ce processus qui arrache tout être vivant au grand Tout, enferme surtout le mâle dans un terrible isolement. 


En cet instant, plus que jamais, le mâle apparut à Rivero comme le héros tragique de l’existence individualisée, contrairement à la femelle qui, plus animale, savait vivre en communion immédiate avec la nature. L’homme était bien celui qui souffrait le plus de la séparation et du morcellement. Il connaissait le malheur d’être "au monde", c’est-à-dire que, davantage que la femme, il ne pouvait s’empêcher d’effectuer ce recul incessant, comme dans le rétroviseur! C’était plus fort que lui, il fallait que, d’un simple milieu de vie, il se fasse un monde. Un véritable cinéma! 


Comme l’animal, pensa Rivero, la femme possède cet énorme avantage de ne pas s’expulser d’elle-même, et de vivre naturellement, en osmose, avec sa réalité vitale, organismique et pulsionnelle, sans jamais devoir la saisir objectivement. Elle a cette chance incroyable d’être prise en elle-même et d’éviter la réflexion individualisante qui isole le sujet de ses objets, et crée le sentiment de la solitude. C’était la raison pour laquelle Rivero avait immensément besoin de la femme pour son salut personnel, laquelle, en retour, hélas, n’avait aucunement besoin de lui… 


Evaristo Rivero se reconnaissait pleinement en cet homme réflexif, objectif et manquant, riche en mondes, mais pauvre en extase et en la capacité d’être éternellement neuf. Il se sentit vieux, soudain. Rageusement, il accéléra, mais il dut freiner aussitôt, à cause des feux tricolores qui, de nouveau, se présentèrent en plein milieu de la chaussée.


Au carrefour des boulevards Saint-Germain et Saint-Michel, tandis qu'à son tour, elle se laissait bibeloter les seins, Amalia approcha ses lèvres de celles d'Isabelle pour l'embrasser. Les deux jeunes femmes s'enlacèrent et s’entre-baisèrent fougueusement. Quand elles cessèrent, elles eurent la surprise de découvrir la silhouette illuminée de Notre-Dame.

— Elle est belle, soupira Amalia, tu ne trouves pas?

— Plus que belle, elle est super! C’est notre Grande Mère!

— Elle est magnifique comme une belle femme... On pourrait peut-être s'arrêter? Qu'en pensez-vous, Evaristo ?


Evaristo Rivero, en parfait gentleman, mit de côté ses étranges pensées métaphysiques et obéit sur-le-champ. Il engagea sa berline sur le parking qui faisait face au parvis et l'y gara. Il avait envie de se retourner, mais plutôt que de céder à cette tentation, ce qu'eût fait, sans doute, n’importe quel voyeur mal élevé, il attendit, se contentant d'observer dans le rétroviseur. Il les vit, bien sagement assises contre-à-contre, et écouta :

— Ca fait longtemps que tu gouines? demanda Amalia.

— Heu, environ deux ans! Et vous?

— Un peu plus, quatre! Mais en réalité, je suis bi! T’as déjà connu des garçons? A propos, tu peux me tutoyer!

— Je vais essayer… Heu… En fait, pas beaucoup. Au début, quelques flirts, mais tout de suite, j’ai préféré les filles, j’sais pas pourquoi... Et vous? Pardon, toi?

— Moi, j'ai découvert les femmes sur le tard. J'ai d'abord connu des hommes avec lesquels j’ai eu pas mal d’aventures. Puis, je me suis mariée avec Monsieur Rivero que j’ai rencontré au moyen d’une petite annonce! Etrange, n’est-ce pas? Je tenais beaucoup à une vie conjugale épanouie, parce que j’avais très envie de construire quelque chose avec un homme sérieux, et puis... Je ne sais pas pourquoi, ça été plus fort que moi, je suis tombée amoureuse des femmes. Mais Evaristo a été formidable, il ne s'y est jamais opposé, bien au contraire, ainsi que tu peux le constater!

— Il a accepté tout de suite?

— Non. Au début, ça été un véritable déchirement pour ce pauvre chéri, et pour moi, je dois le reconnaître, ça ne me paraissait pas très normal. Mais Evaristo m’aimait tellement... Bizarrement, sans doute parce qu’il savait qu’il ne pourrait jamais rivaliser avec une femme, c’était du moins ce qu’il disait, il a fini par être d’accord! Et maintenant, il aime ça! Du moins, c’est ce qu’il dit! Il aime beaucoup me voir avec une femme!

— Tu as de la chance!

— Oui, Evaristo est très gentil, d'autant que je l'entraîne dans de drôles d'aventures, n'est-ce pas chéri?


Evaristo se contenta de brandiller la tête, de sourire, puis d’émettre un de ses grognements familiers dont il avait le secret.

— Vous êtes aussi diplomate? demanda Isabelle, plus fort.

— Pas du tout! répondit Amalia, à la place de son mari. Il est peintre. C’est moi la diplomate. Je suis en poste à Paris pour trois ans!

— Tu es Argentine? On ne le dirait pas, tu n'as aucun accent!

— C'est vrai, répondit Amalia en défaisant un, puis deux, puis trois boutons, au niveau de la taille d'Isabelle.

— Que fais-tu? s’effaroucha l'étudiante.

— Rien, je continue simplement de te déshabiller, je veux voir en dessous! Je suis très curieuse, tu sais!


La jeune fille parut ennuyée.

— Je veux bien, mais à condition que nous roulions!

— Qu'à cela ne tienne! Démarrons, chauffeur!


Ophélie Conan

(Extrait de "La femme de nulle part", nouvelle publiée dans "Mœurs étranges des filles d'Hécate 1")


J'ai illustré cet extrait de "La femme de nulle part" par des tableaux que j'aime beaucoup d'Alex Alemany, peintre espagnol, né en 1943, considéré comme un hyperréaliste et un excellent représentant du réalisme magique. Son univers très poétique, et souvent surréaliste, n'est pas avare en très jolies femmes, ainsi qu'en témoignent les illustrations n°1, 2, 3, 5, 6, 9, 12, 13, 18, 19, 21, 33, 24, 25, 30, 33, 34, 35, 36, 38, 42, 45, 46 et 50. Nombreuses sont ses œuvres qui évoquent les thèmes de l'eau et du miroir. J'admire l'illustration n°22, celle où une jeune femme est en train de tricoter la mer. Quelle idée merveilleuse!

J'aime aussi beaucoup les autre images. Je les ai choisies parce que beaucoup font référence à l'eau et au miroir, ceci pour rester dans l'univers d'Alemany.

Commentaires

  1. Le miroir est un thème qui revient souvent en art visuel, surtout en photo. Même si je l'ai moi-même peu utilisé, sûrement à tort. L'avantage est que l'on a deux modèles pour le "prix" d'une et que l’on peut jouer soit sur la symétrie, soit sur la complémentarité (pile et face).
    Ainsi, j'aime beaucoup les photos 4, 10 et 16.
    J'aime aussi la symbolique de la photo 14 qui inverse le rôle du miroir. Au lieu de servir à voir son sexe (comme sur la photo 31), le miroir permet de voir son visage.
    Et puis les 20 et 37 sont tout simplement délicieuses.
    Les peintures d'Alex Alemany sont également très belles.
    Belle soirée, Marianne.
    Bise.

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    1. Oui, les raisons que tu cites pour utiliser le miroir dans les arts visuels sont pertinentes. En plus, le miroir crée un double fascinant, esthétiquement et psychologiquement. J'aime aussi beaucoup toutes les photos que tu mentionnes, ainsi que les tableaux de ce peintre. Merci pour ta visite, Phil. Je te souhaite une soirée très agréable.
      Bise.

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  2. Marianne, ces tableaux sont splendides. Il me sembla déceler comme une danse dans certains d'entre eux. Les jeux avec l'océan me touchent aussi beaucoup. Le texte d'Ophélie est fascinant, et il me vient une idée dont j'ignore la valeur. L'homme tel qu'elle le décrit serait plus en mode " cerveau gauche " au point d'en être handicapé alors que la femme passe spontanément en cerveau droit en raison de son ontologie. Pascal aurait évoqué l'esprit de finesse. Bien entendu, la femme sait aussi s'abaisser à l'esprit de géométrie, mais elle ne cesse de s'unir à la mer, à la terre, à tout le cosmos. Je vibre à cette exaltation de la femme.

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    1. Sans doute, peut-on lire ce qu'écrit Ophélie dans ce texte, à partir de la théorie des deux cerveaux. Ce serait assez pertinent. Par ailleurs, je te rejoins, quant la beauté des tableaux de ce peintre espagnol, avec tous ces jeux de miroirs et d'océan... C'est magnifique et riche en émotions.

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  3. Comment ne veux-tu pas être frustré, avec deux jolies pépées, les fesses bien calées sur la banquette arrière, en train de se bécoter et se peloter ?...C'est le rétro qui est trop petit, ou mal orienté.
    Belles peintures, c'est vrai.
    La 14, 31 et 47 auraient très bien pu illustrer mon dernier article "L'éducation sexuelle, la connaissance de son corps."
    J'aime bien la 20, aussi, je ne sais pas pourquoi. La beauté des femmes, sans aucun doute, la situation et aussi l'expression de la sucée.

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    1. Oui, la 20 est magnifique. Ophélie l'avait déjà publiée, autrefois, ce qui avait déjà attiré mon attention. J'ajouterais aux ingrédients que tu cites, la position de la main gauche de la sucée.

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