Huit heures du matin

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                                          à Marianne,


Seule à ma table avec moi-même

Dans un bistrot

De la rue du Carême

Je ne suis pas de trop

Pour laisser venir à moi la vie

Ses senteurs et ses bruits

J'écoute ceux du percolateur

Et des petites cuillers

Qui s'affalent sèchement dans les soucoupes

Je pense à toi mon cœur

J'ai envie de toi

De t'aimer

De te savoir par cœur

Pour te faire fondre comme un simple morceau de sucre


J'ai mis un sucre dans mon café

Je suis ivre de bonheur

Je renifle

Je hume son odeur

Je tourne avec ma petite cuiller

J'écoute

J'entends maintenant toutes celles que le patron lance

Rageusement

Par rafales

Dans les tiroirs ouverts de son comptoir

J'entends les plaintes du métal

Et aussi le bruit infernal des allées et venues des poivrots

Sourds comme des pots

Autour de la porte d'entrée

J'entends les portables qui n'arrêtent pas de sonner

Et les râles du soleil qui n'est pas encore levé

Et mon cœur sous embargo qui résonne

Et le bruit sourd et exemplaire du joint d'isolation

Des portes du frigo

Et mon doigt gourd et gourmand

Qui veut plaire

Et que je passe doucement entre mes lèvres que je te tends


Mais tu n'es pas là ma mie

Et pour laisser venir à moi la vie

J'écoute

J'écoute

Je renifle et je sens

Et j'entends maintenant le bruit des lances du silence

Quand elles arrivent

Car elles arrivent rarement

Parce que c'est difficile

A caser

Une petite lance de silence

Dans un bistrot dingue bourré de poivrots

Mais ça arrive parfois

J'écoute

J'écoute

Je renifle et je sens

Et j'entends bien le silence

Et maintenant

Je te vois

Assise en face de moi

Et je sens tous les bruits tous les mots qui s'en vont

Comme une mer qui se retire au loin

Il n'y a plus de stridences

A peine des murmures

Une odeur sucrée et salée

Il y a toi

Nue sur l'estran

Et je te regarde

Et je regarde les poivrots

Et je regarde le bistrot

Il est tout dégonflé comme une putain de chambre à air


Ophélie Conan

publié dans "Conan la barbare I", puis dans "Vénus et le loup blanc"


Ce poème d'Ophélie m'est dédié. Comme on l'a compris, Ophélie m'attendait dans un bistrot, un bistrot je ne sais où, je n'en ai plus du tout le souvenir. Nous ne vivions pas encore ensemble à cette époque. Le weekend, nous nous retrouvions souvent à mi-chemin entre la Bretagne et la Normandie. Nous étions folles amoureuses l'une de l'autre. Et nous le sommes toujours...

J'ai illustré ce poème avec des œuvres de Jean Fautrier (1898-1964), peintre, graveur et sculpteur français figuratif, mais surtout abstrait lyrique et informel. Ses œuvres sont pleines de sensibilité, de mouvances et de déchirures. Vous les trouverez avec d'autres, du même type, en n° 1, 4, 6, 8, 10, 12, 14, 15, 17, 19, 22, 23, 26, 27, 29, 34, 37 et 38.

Marianne



 

Commentaires

  1. Bonsoir Marianne. Le poème d'Ophélie est très beau. Son écriture a le pouvoir de donner des sentiments riches sur l'amour. Merci de l'avoir partagé avec nous.
    Les images sont toutes fascinantes. Surtout le 21 ! Combien puis-je me permettre ? C'est tellement dur.
    Beaucoup de bisous et une belle journée.

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    1. Je suis heureuse que tu aies aimé le poème d'Ophélie. Moi aussi je le trouve très beau. Bonne soirée Giannis.
      Bisous.

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    2. Bonne nuit et beaucoup des bisous Marianne.

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  2. Un bistrot perdu au milieu de nulle part, mais au centre de votre Amour.
    Des bruits, des odeurs de café et une ambiance qui hanteront tes souvenirs à vie, mais avec une jolie fantôme...
    Fais de beaux rêves, Marianne.

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    1. Merci Phil. C'est vrai, ce poème est tout une ambiance!

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  3. C'est un beau texte particulièrement immersif.

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  4. Chère Marianne,
    Je repasserai : je suis encore épuisée. Ce poème me semble envoûtant. Je t'embrasse de tout coeur. Elisabeth.

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    1. Dieu merci, te revoici! Je t'embrasse de tout cœur aussi!

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  5. J'aime beaucoup le choix des tableaux. Le poème fait vibrer tous les sens, sans doute en raison du désir qui s'éclot dans cette attente si pleine de présence.

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    1. Je le crois également, c'est un beau poème selon moi. Merci Elisabeth!

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  6. Ophélie avait tout l'art de décrire une atmosphère, une ambiance.
    Ici ce sont celles d'un bistrot, de ses gens, de ses bruits.
    Elle avait aussi le pouvoir de transmettre un message.
    Ici c'est l'agacement qu'elle ressent dans cet estaminet,
    face à ton absence, à son amour. Mais, je suis sûre, qu'une fois
    qu'elle t'aura retrouvée, elle oubliera cet atmosphère qui pollue son esprit.

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