Feu Augustine

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De malaise en malaise, d'épuisement en épuisement, la vieille édentée rend son dernier soupir. Il fallait bien que ceci arrivât un jour. Le climat ne permettait pas de lanterner : les températures étaient élevées et la putréfaction n'attendrait pas le quatrième jour (pour le lecteur : relire la résurrection de Lazare ). Qu'il est long de mourir et quel tohu bohu autour de ce manque de savoir vivre. Alors qu'elle était comateuse, la vieille reçut de nombreuses visites : celle de Pascal prêchant le pari comme à Montecarlo, celle de Dostoïevski exigeant une relecture sérieuse des paroles du Grand Inquisiteur dans Les Frères Karamazov, celle de Bakounine affirmant qu'il n'avait jamais demandé la mise en place de la chienlit, celle de Proudhon brandissant un commandement des tables de Moïse et redonnant sa leçon mal comprise à L'Institut au sujet de " la propriété c'est le vol "  rappelant qu'Adonaï Seul avait le pouvoir de distinguer le bien du mal, le beau du laid, de séparer l'être et le non être en vertu du " wayavdel " (et il sépara : expression répétée dans la création en sept jours ), de distinguer l'être de l'étant ( et, v'lan , il faut relire Heidegger en allemand, Parménide et ses présocratiques dans leur langue ). Le péché de la déformation des idées d'autrui est gravissime et Lucifer, ange de lumière, ange préféré de Dieu y excella. Il s'agitait autour du lit de la moribonde, retapait ses oreillers pour lui maintenir le souffle quelques secondes encore. Il chantait d'une voix grave sépulcrale, le rôle de la statue du Commandeur sans mise en scène moderne.


Une garde malade ayant quitté Varsovie pour les paradis artificiels de Paris servait de la vodka aux visiteurs. Socrate lui répondit que sa piquette était pire que la cigüe, Lucifer voulut consacrer la vodka mais la polonaise alluma des cierges, fit un paravent d'icônes, appela Jean-Paul II à la rescousse qui répondit par une prise de karaté pontificale, envoyant valser Lucifer dans la fontaine de Trévi en compagnie de quelques lires non encore entrées dans le musée de la monnaie.


La vieille n'avait rien inventé en terme de luxure et passa de longues années sous les ponts parce que le luxe use ( la vieille est fatiguée ), mais en vertu de la luxe hure, elle brandissait une tête empaillée.


Saint Pierre la traita de paresseuse parce qu'elle n'avait jamais lu " le livre des morts " mais elle répondit avec un petit rire sardonique pour le mettre en boite que l'ouvrage était à l'index, et qu'il avait de l'audace de conseiller la prose qu'il n'avait jamais lue, son analphabétisme n'étant pas une excuse au Procès des Procès.


La bonne société avait envahi La Comédie Française les femmes  prenant des sels pour ne point défaillir, les hommes s'effondrant dans leurs bras pour la même raison. L'Opéra Garnier exigea de la vieille et du Commandeur qu'ils doublent le prix des places au poulailler. Afin d'y parvenir, la vieille prit des leçons de lévitation auprès d'un grand-maitre  de stricte obédience, soit Le Padre Pio pris d'un étrange refrain psychotique " mama mia! "! Le médecin de famille, un lâche parmi les grands lâches signa le certificat de décès avant le dernier soupir tandis que Chérubin chantait les tourments de son coeur amoureux ( " Mon coeur soupire... "), posa son stylo et leva son haut de forme " Au revoir, Madame " ( il a dû la rejoindre depuis cette scène devant ma grand-mère ). Le médecin malgré lui qui ignorait tout de la caverne de Platon et de celle de Lascaut, fumait comme un pompier ayant encaverné ses poumons. Au loin, un " De Profundis " veillait sur le carabin en déclin, et sur la vieille en rite uniate par respect pour le gout des voyages de ce siècle commençant et de cette vieille finissant.


Une larme roulait le long  de ses joues ridées comme une reinette du jardin, au doux souvenir de son tendre époux Alfred qu'elle se préparait à revoir. Alfred jouait de fortes sommes au casino, montait à cheval avec élégance, cette prouesse l'ayant moins inquiétée que l'attrait des femmes fanées, des femmes fardées, des femmes irdales, des femmes éliques, des femmes amantes de Lucifer, des femmes chaisières ( en voie de disparition par mutation génétique en robots vendus par des Maries nageant en eaux troubles, Jourdain et autres Génésareth ).


La vieille savait qu'il fallait fuir ce siècle qui ne respectait plus rien, que de braves gens disaient apocalyptique ignorant tout du dévoilement lumineux de l'apocalypse. Elle lâcha prise : c'était à la mode depuis Papa Freud et vivait en grande sérénité, non sans curiosité son agonie. Elle regrettait de ne plus avoir la force de prendre des notes et voici pourquoi chaque moribond passe par le même questionnement existentiel.


Des grèves, des barricades retardaient Les Pompes alors qu'il faisait chaud. La polonaise rafraichissait l'air avec un tissu trempé dans l'eau glacée, et dans l'axe d'une brise légère. Par des temps pareils, l'on risquait l'arrivée d'un deuxième saint suaire à datation carbone fantaisiste. Vingt Trois rentrant de Lourdes en urgence avait un peu d'eau miraculeuse qui ne put servir que pour le goupillon et les ribouldingues des voisins. En cet été caniculaire, la presse parisienne donnait régulièrement des nouvelles fraîches de la vieille. Quelques journalistes notèrent des faits étranges au Panthéon, et in fine, nul ne sut la vérité, pas même celui qui disait sur un autre tempo : " Je suis La Vérité ".

Elisabeth de Hautségur



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Ce texte étrange que j'aime beaucoup, écrit par Elisabeth de Hautségur, vous pouvez le retrouver sur son blog.
Tenue correcte non exigée. 





Commentaires

  1. Merci Marianne, pour les illustrations très bien trouvées. Je t'embrasse.

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    1. Ce n'est pas facile d'illustrer. J'ai choisi en essayant de me rappeler mon ressenti en lisant ton texte.

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    2. Tu m'as conduite à inventer une suite...

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    3. S'agit-il de: "En écho à l'article de Marianne sur Augustine" ou encore autre chose à venir?

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    4. Cet article et peut-être d'autres, je ne sais. Au fond, il y a des instants où je suis un peu Augustine!!!

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