La balade de Cornélia

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

26

27

28

29

30

31

32

33

34

35

36

37

38

39

40

41

42

43

44

45

46

47

48

49

50

51

52

53


  Peu après s’être retournée dans les marches du Palais pour adresser à Flora un geste affectueux de la main, Cornélia se trouva nez à nez avec un vieux monsieur à la moustache épaisse, vêtu d’une redingote usée et d’un petit chapeau, qui venait de prendre en photo le deux mille cinq cent vingt-huitième orgasme de la belle onaniste. 

  — Je les collectionne! dit-il à Cornélia, la saluant au passage. C’est le deux mille cinq cent vingt-huitième!


  Cornélia lui rendit aimablement son salut, car elle aimait bien ces photographes qui, la nuit venue, surprenaient les jeunes femmes pour immortaliser leur beauté ou collectionner, comme certains, leurs féeriques orgasmes. 


  Cornélia se dirigea vers le grand bassin hexagonal qui, en son centre, possédait une fantastique sculpture en bronze représentant des nymphes et des amours, et d’où sortaient une multitude de jets d’eau. Dans le bassin, à la surface de l’eau noire, huit grosses grenouilles en bronze, crachaient également des jets magnifiques et lumineux. En faisant le tour de la margelle, Cornélia se plut à observer deux autres jeunes femmes, nues comme elle, qui riaient aux éclats, parce qu’elles se chatouillaient. Cornélia s’assit sur le rebord de pierre, près des rieuses, et laissa leurs vigoureux éclats de rire lécher tout son corps. 


  Soudain, passa une mariée. Seule, elle était seulement vêtue de sa longue robe blanche à traîne, et marchait tranquillement. Sa robe, toute réalisée de merveilleuses dentelles, était magnifique. Sa peau, sur son visage, ses mains ou ses seins généreusement découverts, n’avait aucun mal à paraître plus blanche que la lumière de la lune au zénith.  


  Quand la mariée se fut éloignée, Cornélia regretta de ne pas être allée à sa rencontre pour l’embrasser et frotter ses seins contre les siens. Avec ce regret dans le cœur, elle reprit sa marche et, de nouveau, s’arrêta quand un homme à barbichette lui demanda l’autorisation de poser pour quelques photos, ce qu’elle accepta volontiers. L’homme la prit d’abord en pied, puis se rapprocha pour ne lui voler que sa jolie poitrine, et enfin, pour une troisième prise, ne cadra que le triangle de sa toison. Il remercia chaleureusement Cornélia qui, toute joyeuse, s’empressa de gravir les marches du kiosque à musique où, en leur milieu, se trouvaient deux jolies brunettes. 


  L’une, agenouillée dans l’escalier de pierre, faisait minette à l’autre qui, assise sur la plus haute marche, se pâmait. En passant, Cornélia leur sourit, mais les deux filles ne firent pas attention à elle, tellement elles étaient absorbées par ce qu’elles faisaient. Cornélia entra sous le vaste kiosque aux huit piliers de fonte.


  Une intense animation régnait en cet endroit. Un groupe d’hommes, des vieux messieurs à lunettes et aux crânes chauves discutaient abondamment autour d’une grande lunette astronomique braquée vers le ciel. C’étaient encore des astronomes. Ils ne paraissaient pas d’accord au sujet du nom de quelque chose qu’ils observaient tour à tour dans l’œilleton de la lunette. A l’écart, un autre, habillé tristement d’une longue blouse grise, ouverte sur une chemise blanche et un nœud papillon, inscrivait des données sibyllines sur un tableau noir où était dessiné le cycle de la lune. Parfois gravement, il lançait son avis aux autres qui ne l’écoutaient pas. Il leur parlait des trous noirs, disant que ceux-ci existaient bel et bien et qu’il fallait en tenir compte dans les calculs. Accoudées à la rambarde du kiosque, quelques jeunes belles souriaient d’entendre ces doctes messieurs se quereller. Certaines se tenaient amoureusement enlacées par la taille, se faisant des petits bisous sur la nuque, d’autres s’embrassaient à qui mieux-mieux ou se tripotaient sensuellement les seins. 


  Intéressée, Cornélia s’approcha de l’homme au nœud papillon et lui demanda pourquoi il n’était pas écouté par ses confrères.

  — Parce que ce que je dis est l’évidence! répondit le bonhomme. Et comme toujours, l’évidence gêne! Les trous noirs, c’est l’ultime destin des vieilles étoiles très massives, la dernière étape de l’effondrement gravitationnel! Vous comprenez?

  — C’est bien vrai qu’ils sont invisibles?

  — Bien sûr, puisqu’ils n’émettent aucun rayonnement!

  — Alors comment pouvez-vous être sûr qu’ils existent?

 — Par les calculs! Mais je dirais que ça dépend de leur nature! C’est ce que je me tue à expliquer à mes collègues. Certains sont célibataires, d’autres accompagnés d’une étoile, d’autres enfin sont à l’intérieur d’un noyau galactique!

  — Certains sont célibataires? 

  — Bien entendu! Et ceux-là sont difficiles à voir, mais ils imposent une courbure à l’espace-temps avoisinant. Ils créent une accrétion de matière et aussi ce qu’on appelle une lentille gravitationnelle ! Mais il est vrai que ces phénomènes sont souvent trop faibles pour être détectés, alors que lorsqu’il y a une étoile ordinaire en orbite autour d’eux, c’est beaucoup plus facile!

  — Donc quand ils ne sont pas célibataires!

  — Exactement!


  Un instant, l’astronome fixa de son regard très doux les deux planètes de Cornélia, mais un bref instant seulement, le temps d’une étoile filante.

  — Et vous, lui demanda-t-il sans transition, vous êtes aussi célibataire, je suppose?

  — Oui, je suis célibataire!

 — Parce que vous n’avez pas encore trouvé d’amie? Ou parce que… Pourtant…

  — Non, justement j’ai beaucoup d’amies, mais je veux rester libre, et connaître de nombreuses existences différentes!

  — Vous pensez qu’avec la même compagne, vous seriez… Comment dire? Aspiré! Vous perdriez votre liberté? 

  — Exactement.


Ophélie Conan 

"Les astronomes", in "Mœurs étranges des filles d'Hécate"


Je me souviens qu'en éditant dans "Conan la barbare" un extrait de "Les astronomes", Ophélie avait choisi d'illustrer cet extrait par un tableau de Paul Delvaux, ce qui était un bon choix, puisqu'elle-même s'était inspirée de ce tableau pour écrire son texte. J'ai voulu éviter la répétition, et j'ai ici choisi des œuvres de Michael Parkes. 

Né en 1944, cet américain, peintre, lithographe et sculpteur, vit en Espagne. A l'époque hippie, avec Maria, sa jeune femme musicienne, il voyage dans de nombreux pays à la recherche de l'illumination. Après des expérimentations expressionnistes et abstraites, il donnera ensuite de manière épurée et magistrale dans le fantastique et le réalisme magique d'une manière que je trouve très personnelle.

Les œuvres que j'ai choisies de lui et que j'aime beaucoup, figurent en n°1, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 13, 14, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 28, 29, 31, 32, 33, 34, 36, 37, 38, 39, 41, 42, 44, 45, 47, 48, 49, 51, 52. 

Du côté des illustrations qui les accompagnent, j'ai nettement un faible pour les n°43, 46 et 53, dont vous trouverez, j'en suis sûre, le point commun.

Marianne

Commentaires

  1. L'atmosphère des tableaux est pleine de mythologie et envoûte. L'histoire des trous noirs est fascinante et comme Ophélie, je m'interroge beaucoup à leur sujet. Je n'avais pas émis l'hypothèse intéressante que ceux qui n'avaient pas d'étoile en orbite soient célibataires. Ont-ils aussi besoin de nombreuses compagnes en orbite pour se sentir libres? Sont-ils composés de matériaux? Il me semble avoir lu cette hypothèse. Matière immobile ou mobile? Je ne sais. J'ai noté une femme enceinte nue avec trois autres femmes dont une sorcière ( 13 ), une audacieuse posant devant une mosquée ( 30 ), la superbe cambrure de la quarante intéressante à sculpter, quelques citharistes qui savent aussi faire vibrer d'autres cordes...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, les trous noirs sont envoûtants, mais je ne suis vraiment pas spécialiste. Ils fascinaient Ophélie. qui m'en parlait souvent. Ils sont envoûtants comme le sont les tableaux de Michael Parkes.
      Effectivement, la jeune femme de la 30 est audacieuse de poser nue devant une mosquée. J'aime aussi beaucoup cette photo. Quand il arrive que l'une d'entre nous s'habille de cette façon et se présente ainsi, nous aimons beaucoup nous prosterner à ses pieds, comme s'il s'agissait d'une déesse (ce qu'elle est d'ailleurs!).

      Supprimer
  2. Peut-être un point commun avec le trou noir et le vide dont en parlait beaucoup Ophélie.
    Drôle d'atmosphère dans ce texte avec ces vieux messieurs observateurs du ciel et ces femmes
    s'adonnant à des jeux saphiques ou individuels immortalisés par un photographe chanceux.
    Et puis la chute, avec Ophélie qui avait les mêmes envies d'électron libre que Cornélia.
    J'ai bien relevé le point commun de tes photos préférées, Marianne.
    Elles t'ont peut-être incitée à faire pareil de tes doigts agiles et connaisseurs de tes ressentis.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ophélie me disait souvent et avait écrit qu'elle aurait voulu vivre dans un tableau de Paul Delvaux!
      Quant aux images 43, 46 et 53... bien sûr...

      Supprimer
    2. Elle avait beaucoup d'imagination et Paul Devaux peignait que des femmes, et aussi, des gares, des trains comme décors, ce qui, il me semble, elle affectionnait beaucoup.
      Ce qui me fait poser la question : " Avez-vous fait l'amour dans un wagon ?".

      Supprimer
    3. Oui, plusieurs fois, dans des trains à quai, vides, et en attente de partir ailleurs...

      Supprimer
    4. Ça devait être très romantique.
      Mais comment fait-on pour trouver des trains à quai vide en attente ?
      Doit-on sauter des grillages en toute inégalité ?
      Si c'est pour le plaisir et le désir de jouir,
      il n'y a aucun mal.
      Du moins si ça n'était pas dangereux pour vos personnes,
      je parle de se faire écraser par d'autres trains.
      Autrement, c'est un beau fantasme de réaliser.

      Supprimer
    5. Dans certaines gares, la nuit, il y a, il y avait (il y en a de moins en moins, c'est vrai...) des wagons de voyageurs en attente d'une tractrice. On peut (pouvait) monter dedans pour y faire l'amour. Il n'y a (avait) pas de risque de se faire écraser par d'autres trains, seulement de se faire choper par un employé de la gare.

      Supprimer
    6. Oui, c'est vrai, à l'écart des rails principaux.
      J'ai connu l'accès aussi plus facile que maintenant,
      moi même habitant non loin du chemin de fer,
      et où, on se faisait courser par "le cheminot blanc",
      chef des cheminots...Mais maintenant, tout est grillagé,
      à juste titre, pour notre sécurité.
      Ça reste un beau fantasme que tu as pu réaliser avec Ophélie.

      Supprimer
    7. Tu as raison, ce fantasme est plus difficile à réaliser de nos jours. J'ai essayé avec Gaëlle et Honorine, dans certaines gares, mais l'accès est effectivement grillagé ou surveillé avec des caméras. On risque de se faire surprendre. C'est dommage. Je l'ai vécu plusieurs fois avec Ophélie qui s'était initiée seule à la chose, et c'était très excitant!

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Contrefaçon

Le monde d'Ophélie

Chic! Chic! Hourra!

Fin de soirée

Sixtine

Nuages

Jolies poupées

Petites et grandes manœuvres

Une nature volontaire et capricieuse

Lilith