Si j'étais brune
Si j'étais brune, une vraie brune à la crinière très noire, avec de grosses lèvres bien épaisses, sensuelles et très rouges, je crois que je m'achèterais des lentilles pour faire paraître mes yeux tout bleus, et un piano à queue laqué très noir, pour me pavaner tout autour. Devant le clavier aux fines dents blanches, je poserais mon miroir pour contempler mes fesses (que dis-je, mon cul!), car j'aime passionnément mon petit cul de gouine. Je le trouve infiniment photogénique, mon petit cul bien rond, bien charnu, bien galbé et bien fendu au milieu, et là, dans cette position, appuyée sur le clavier, j'écarterais mes jambes. Puis, je m'allongerais de tout mon long sur la queue de ce bel instrument et gratterai l'unique corde de ma guitare.
Si j'étais brune, avec des yeux sombres en amandes, avec une chevelure électrique, je ne mettrais ni bas noirs, ni serre-taille noir, ni soutien-gorge noir. Je m'envelopperais toute nue dans une peau de léopard. Mais je suis blonde, et il m'arrive de bouder, insatisfaite devant mon miroir, après avoir retiré mes bas noirs. Quand je suis bien lasse, j'attache mes longs cheveux au-dessus de ma tête, en chignon, puis, je me mets à l'aise. Dans ma garde-robe, j'avise une robe boutonnée sur le devant que je ne boutonne pas, et je m'en vais vers un lieu douillet. Là, je ferme mes paupières devenues très lourdes. Je m'accroupis sur mes hauts-talons, prenant appui sur un fauteuil très proche et, dans cette position, commence, avec une main, à frotter mon entrejambes. Blonde, mon petit cœur est blond entre mes cuisses.
Les hommes ont toujours eu de multiples moyens pour conquérir les femmes: richesse, statut, prestige, force, intelligence, pouvoir, humour. Pour nous, l'arme majeure a toujours été l'apparence, la beauté, la cruauté. Il est à remarquer que les qualités esthétiques d'un homme ne profitent jamais à sa femme, tandis que le contraire n'est pas vrai. Il existe donc toujours à cet égard une certaine inégalité entre les hommes et les femmes. Entre lesbiennes, les qualités esthétiques d'une femme profitent toujours à son amie et réciproquement. De plus, ce qui est amusant chez les lesbiennes, c'est qu'elles partagent le même code de séduction féminin. Comme dans une relation hétéro, l'amour vient souvent après la relation sexuelle, mais qui fera les avances? Qui offrira les fleurs? Là, rien n'est déterminé, rien n'est codifié, tout est possible. Nous sommes libres!
Blonde et tout en jambes, je suis une poupée de chair, seulement vêtue de mes hauts talons à aiguilles. Je fais souvent ma sieste les pieds au mur. Quand je dors sur le côté, mes seins sont si gonflés du désir de m'aimer qu'on peut y voir de fines veines bleuâtres. Mes seins sont deux gros globes qui se touchent, et aucun homme, maintenant, n'est plus autorisé à les toucher. Je suis la seule, avec mes amies, à pouvoir vraiment en disposer, et j'en suis fière. Chasse gardée. Au réveil, je prends des poses devant mes miroirs, tellement je suis amoureuse de mon image. Je veux que celle-ci soit très ordonnée, mais que ce soit à la faveur d'un hasard. Je suis fière de mes seins, de la cambrure de mes reins que je sais exagérer comme il convient. J'aime à me regarder, assise à califourchon sur une chaise, accoudée sur le dossier. Dans cette position, je contemple mes fesses dans un miroir que j'ai préalablement disposé derrière moi. J'admire la rondeur de mon beau cul et la douceur de sa peau, ainsi que la cambrure de mes reins et le petit creux de ma colonne vertébrale et mes omoplates à peine saillantes et mes épaules parfaites. Quel que soit le profil, j'aime mon minois joli et mon joli minou. J'aime mon ventre plat et mes longues cuisses infiniment fines. Heureusement, je n'ai plus d'homme dans ma vie, et je me masturbe quand je veux. Je ne suis pas à vendre, et j'entends disposer de mon corps comme il me plaît. Il m'arrive même, quand le manque s'en fait ressentir d'introduire mes godes ou des objets dans mon vagin pour me faire jouir. Je reconnais être un monstre d'égoïsme, mais cela m'est bien égal. J'écoute Aimée Mann et Anika Moa et Kaki King et Tegan & Sara.
Je n'ai pas été créée par Dieu, mais par moi-même. L'éternel féminin, sans pour autant lui échapper, je le regarde de loin. En tout cas, j'imagine que j'ai résolument rompu avec la malédiction du péché et de cette soi-disant destinée féminine. Comme beaucoup de femmes de mon époque, la maîtrise de la contraception m'a exemptée de la maternité non désirée. J'ai eu deux enfants, mais à chaque fois, je les ai voulus. Même avec mon mari, j'ai vécu délivrée de la peur au ventre. Plus encore à présent, puisque je suis sans homme et qu'aucune pine ne vient jamais plus fourrager mon intérieur. Je peux aimer à ma guise, connaître des plaisirs beaucoup plus subtils...
Ophélie Conan (7 août 2009, dans "Conan la barbare I")
Publié en Kindle dans "Non, toutes les bimbos ne sont pas des idiotes"
Un clin d'oeil à Ophélie au sujet du piano depuis que je sais que certains cours ont servi d'inspiration au roman avec la comtesse.... Ophélie, tu utilises le terme " pine " et il me sembla entendre lors de la publication du premier tome du journal intégral de Julien Green que ce terme était désuet mais ceci te ressemble, ce choix des mots et le jeu de plume, avec tes talons hauts à t'en tordre la cheville mais qu'importe la chute, puisque tu t'es libérée de la chute inaugurale...
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ce texte-manifeste, un peu fou, plein de vie et plein d'humour...
RépondreSupprimerOui, certainement le mot "pine" est désuet, mais il est à sa place ici, je trouve.
Ophélie était amoureuse de son corps et de l'image qu'il renvoyait au travers de ses miroirs, et sûrement aussi au travers des regards de ses amantes.
RépondreSupprimerElle aurait sans doute adoré un shooting photo qui est une sorte de concrétisation de cette fascination pour la beauté corporelle. Un shooting avec une femme photographe, bien sûr, qui aurait sublimé ses jolies formes.
Ses articles et livres auraient gagné une dimension supplémentaire s'ils avaient été illustrés avec ses propres photos...
Mais j'aime aussi regarder ces superbes illustrations de belles inconnues.
Bise et bon weekend, Marianne.
Bien sûr, Ophélie adorait se photographier elle-même ou se faire photographier par nous, mais elle ne voulait pas se mettre en scène de cette manière, préférant écrire. De même, elle a mis beaucoup de temps à illustrer ses textes avec des images érotiques glanées sur le web. Tout le début de "Conan la barbare i" est sans images, puis avec une ou deux, au fil des mois... Je crois qu'elle voulait surtout être reconnue comme écrivaine et pas comme strip-teaseuse, même si cela la fascinait.
SupprimerBise et bon week-end, Phil.
Oui, je me souviens qu'Ophélie était avant tout écrivaine, puis eut des illustrations par étapes et je fus scandalisée quand son blog fut saccagé par des publicités pornographiques. La plateforme d' overblog ne faisait pas la différence entre érotisme et pornographie. Je suppose qu'Ophélie préférait des photos d'elle et de ses amantes au sein de leur tribade....
SupprimerBien sûr qu'Ophélie avait raison, comment dire le contraire. Elle était belle, elle le savait. Elle en profitait et en faisait profiter d'autres femmes. Elle était libre et qu'y a-t-il de plus beau que la liberté ? Comme elle l'écrivait, elle a eu la chance, avec toutes les femmes, de vivre à une époque où la maîtrise de la contraception était possible. Ce que d'autres femmes, dans un autre temps, n'ont pu connaître. Tout comme elles n'ont pas connu le droit à l'avortement, qui est toujours, pour la plupart des femmes, en tout cas, un acte douloureux, psychologiquement déstabilisant, au sens fort du terme. En tout cas, j'aime beaucoup ce texte, qui dit les choses simplement, telles qu'elles sont. Sans fioriture, sans tralala et qui dégage une sérénité certaine.
RépondreSupprimerMerci, Alexandre. J'espère qu'elle te lit.
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