Mélusine

 

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Mélusine est une curieuse ménagère. Alors qu'elle n'est probablement qu'une descendante de Lilith la rebelle, Lilith la contestataire (celle qui s'est voulu l'égale d'Adam et qu'elle a du reste quitté pour l'abandonner à Eve), son projet est plus modeste ou plus ambitieux. Devenir l'épouse d'un homme! Elle y réussit d'ailleurs fort bien, puisqu'à cet homme, elle fait des enfants et n'a de cesse que de lui agrandir son patrimoine immobilier, mais... Il y a un mais: Mélusine reste une femme-animal qui ne se départit jamais de son animalité et c'est ce qui fait d'elle une bien curieuse ménagère...

Comme Boucles d'or ou comme Blanche-Neige, voilà une femme qui décide d'entrer dans le monde masculin (familial ou social). En cela Mélusine me fascine, car c'est aussi exactement ce que j'ai fait en me mariant et en ayant des enfants, avant de quitter mon mari pour aller vivre avec des femmes. J'observe que Mélusine, malgré son entrée en société, ne perd pas le contact avec sa nature (et la Nature), puisque chaque samedi, elle redevient animale, aquatique et chthonienne, ce que, sans doute, je ne faisais pas suffisamment. En vérité, je vous le dis, cette animalité est bonne, car elle permet de prendre conscience du caractère artificiel du monde masculin. Oui, Freud avait raison, il existe une profonde étrangeté de la femme aux valeurs masculines. Mars et Vénus?


Dans la légende de Mélusine, la femme est présentée comme un génie des quatre éléments (l'air, la terre, l'eau et le feu), et Mélusine apparaît comme une véritable médiatrice venant éclairer de sa présence la lanterne de l'homme perdu dans une forêt de signes ("Je suis la femme cachée dans la forêt"). Cela signifie que ce n'est pas par le langage verbal que la femme peut manifester ce rôle, tant celui-ci est porteur des valeurs des catégories mâles et logiques, mais par ses silences, son mystère, la profondeur de son regard, les lignes merveilleuses de son corps, la subtilité de ses odeurs, de ses humeurs, l'art et la manière qu'elle a de porter un porte-jarretelle, bref sa féminité, en un mot son animalité.


La femme est un mixte des quatre éléments que je trouve bien incarné par Mélusine, cette femme-serpent (la terre), mais également sirène (la fontaine, l'eau du bain, le samedi, jour de Saturne), pourvue des cornes du bélier (le feu) et des ailes du dragon (l'air). Le motif de ces cornes, d'ailleurs, coiffant un personnage aquatique, est assez curieux (car Mélusine est sans doute à l'origine une sirène, alors que la tradition perpétue plutôt l'image d'une femme-serpent, essentiellement tellurique), mais assez répandu, notamment sur les chapiteaux et voussures des églises romanes de la Saintonge et du Poitou. Cela montre que la fée Mélusine n'est pas seulement un avatar de la serpente Lilith, mais également de Pan "Chèvre-pied" qui, pour échapper au géant Typhon, se dissimule dans un fleuve et en ressort avec une queue de poisson (c'est pourquoi le signe du Capricorne est représenté par un poisson-chèvre). Ces cornes-queues ont d'ailleurs fort déplu au Christianisme qui, durant tout le Moyen-Âge, fera la guerre aux cultes païens, faisant du mythe de Mélusine une figure diabolique, ce qui explique que ses cornes-queues, évoquant celles de Satan, aient été souvent dirigées vers le ciel. Néanmoins, ces cornes qui évoquent celles du bélier, premier signe du zodiaque, montrent qu'il faut voir en Mélusine le symbole de la vie qui repart au printemps, comme la fève. Bien qu'aquatique et lunaire, ces cornes font d'elle une force solaire qui va l’emporter sur la nuit. Son graphisme d'arche repliée montre que la vie n’existe pas encore, qu'elle ne s’exprime pas encore, mais qu'elle dort, qu'elle attend patiemment comme un mort qui va bientôt se réveiller. Ces cornes, signe A renversé, alpha grec, première lettre de l’alphabet, analogie avec l’élément Feu que les alchimistes représentaient par un triangle renversé, pointe tournée vers le bas, est un symbole de l’esprit fécondant la matière.


Le syncrétisme entre les quatre éléments est donc bien réalisé par Mélusine et promet un salut possible de l'imaginaire ou de l'Inconscient en ce bas monde (belle ambition qui fut d'ailleurs celle des Surréalistes). Comment donc concilier l'imaginaire et le réel, comment concilier ces cornes sur la tête de Mélusine et ces ailes dans son dos, avec cette queue de serpente ou de sirène? Faut-il choisir entre le vol et le ventre? Mélusine, comme Lilith ne choisit pas, elle veut être les deux, et c'est pour cela qu'elle alterne, et c'est en cela qu'elle est une femme complète, pas seulement la moitié de l'homme issue de l'une de ses côtes, mais La Femme tout entière qu'il faut aimer. En d'autres termes, Mélusine a commencé de réussir ce que Lilith a clairement refusé de réaliser. Mais hélas, contrairement à Lilith et à Eve, c'est l'homme, dans cette histoire, Raimondin, qui, tenté par la connaissance, veut connaître la vérité en perçant le mystère de la pointe de son épée et qui, du même coup, perd l'objet de son amour.


Cette idée que Mélusine incarne le mystère, en raison de toutes ses contradictions, n'a pas échappé aux Alchimistes qui ont vu en elle une descendante de la baleine en laquelle le prophète Jonas a pu contempler les grands mystères. Cette fée, pour Paracelse, était "le ventre des mystères", ce que nous pourrions traduire par l'Inconscient. Le même Paracelse identifie Mélusine à l'aquaster (de aqua: eau, et aster: astre), c'est-à-dire l'astre aquatique (bizarre!) qui, lui-même, renvoie au Mercure androgyne, le principe même de la materia prima, donc la "mère originelle", et du Mercure philosophal qui est "l'œuf de la nature", mère de tout ce qui a été engendré, ou encore du serpent mercuriel, parfois représenté par une jeune fille à forme de serpent. Ceci montre bien la double nature du Mercure (et de Mélusine). Autrement dit, découvrir Mélusine au bain comme le fait son mari Raimondin, c'est découvrir le secret de la fontaine mercurielle. Comme Mélusine se cache, comme on ne peut connaître sa vraie nature, on a donc vu en elle, comme en Lilith d'ailleurs, une représentation de la lune noire, celle qui se cache.


 On a beaucoup dit que cette fée était attachée aux Lusignan, une des plus grandes familles de France qui donna entre autres, à la suite des Croisades, des rois de Jérusalem et de Chypre. On a expliqué son nom par "Mère Lusine" (Mère des Lusignan), mais aussi par Lucine, la déesse Celte aux formes serpentines, à caractère lunaire, qui présidait aux naissances et qui était la protectrice de la Font-de-Sé (Fontaine de la Soif). Ce qui est certain, c'est que cette créature, très proche parente des sirènes, avec son visage, son buste de femme et sa queue de serpent ou de poisson, est un monstre. Découvrant son secret par surprise, alors qu'elle se trouve dans son bain à se donner des plaisirs sensuels et solitaires (ce qui est très mal selon le Christianisme), son mari la perd aussitôt. On le voit, Mélusine hérite de mythes très anciens: sirènes et nymphes des eaux, femmes-serpents de l'antiquité, dragon, vouivres... Dans la tradition Chrétienne, on le sait, le serpent est associé au mal, mais dans les traditions antérieures, il était symbole de fertilité et de fécondité, ce qui caractérise bien Mélusine, créatrice d'une tripotée de Lusignan! Le Catholicisme a diabolisé sa queue de serpent et sa métamorphose en dragon volant et, prudent, lui a substitué le culte de Sainte Venice, représentée se baignant elle aussi dans un baquet, mais habillée et sans queue de serpent.


Mélusine a eu une importance considérable quand on considère le nombre de villes ou de villages dont le nom, associé à son pouvoir de fécondité, est dérivé de son nom. Le premier est Lusignan, en Vendée, mais il y en a d'autres au long de la Loire et de la Gironde (Lusigny, Lésigné, Lézignan, Lésigney, Lucé, Lucy, Luzy...) On la retrouve à Leucate, Lausanne, Luxeuil, également en Belgique, protectrice de la maison de Gavre, au Luxembourg, en Hainaut sous le nom de Marluzuzenne, en Champagne (Merluisaine) et encore en bien d'autres endroits. Elle se montre souvent dans les édifices qu'elle a elle-même construits, à Mervent, Vouvant, Saint-Maixent, Talmont, Parthenay, Tiffauges, La Rochelle. On lui attribue la construction d'églises, comme celle de Saint-Paul-en-Gâtine ou de Clussais-la-Pommeraie, et d'abbayes. C'est une fée bâtisseuse, ce qui montre bien son côté chtonien et fécond, qui œuvre au clair de lune avant le chant du coq. On sait que si elle est dérangée dans son ouvrage, elle s'arrête et ne revient jamais. C'est pourquoi il manque une fenêtre à Merrigoute, et la dernière pierre de la flèche de Niort et de l'église de Parthenay.


Son nom est inconnu avant la fin du XIVème siècle, mais il se fait connaître avec les romans de Jehan d'Arras et de Coudrette. Comme on l'a vu, le mythe existait bien avant, à travers les nymphes des eaux, les sirènes, les succubes, la vouivre... Sans doute n'est-elle qu'un avatar de Lilith, héritière elle-même des grandes déesses-mères. Hérodote la fait venir de l'antique Scythie. Dans une aventure d'Héraclès, quand ce dernier revient d'Erythée d'où il ramène les vaches de Géryon, il les perd et se demande bien où elles sont passées. Alors, "il serait arrivé dans la région qu'on appelle l'Hylaia; là, il aurait trouvé dans une antre une jeune fille serpent formée de deux natures; les parties supérieures de son corps, à partir des hanches, étaient d'une femme; les parties inférieures, d'un reptile. Il la regarda avec étonnement; puis il lui demanda si elle n'avait pas vu quelque part des cavales vagabondes. Elle répondit que c'était elle-même qui les avait et qu'elle ne lui rendrait pas avant qu'il se fût uni à elle; et Héraclès se serait uni à elle pour ce prix." Suite à cela, Héraclès la quitte, et trois fils naissent de cette union. Parmi eux, Skythès deviendra l'ancêtre de la famille royale scythe. Curieuse analogie, n'est-ce pas? Surtout si l'on sait que les Taïfales, qui étaient des Scythes, sont venus s'installer, avec l'armée romaine, dans le Poitou où est certainement née, en France, la légende de Mélusine. Ces Taïfales ont probablement donné leur nom à la ville de Tiffauges, dont on dit que c'est Mélusine qui construisit le château...


Ophélie Conan





Ophélie adorait le personnage de Mélusine. Dans son premier blog, elle avait créé une rubrique intitulée "Ophélipédia", dans laquelle elle publiait des articles sur des thèmes relatifs à l'histoire des godemichés, des religions, des mythes et de certains phénomènes de société. Dans cette rubrique Mélusine figurait aux côtés de Lilith. 

Je reproduis ici cet article, illustré et documenté à ma manière. J'ai mis des ciseaux simplement parce que quand je "cisaille" et suis "cisaillée"*, j'ai l'impression d'être femme-serpente. La tête de l'une est la queue de l'autre, tout simplement. C'est vraiment très bête.

* Je remarque qu'il n'existe pas de verbe pour exprimer le fait de se servir d'une paire de ciseaux, à part "découper". Avec une cisaille, on dit cisailler, et avec un ciseau à bois ou à pierre, on dit ciseler. J'ai du mal à dire que deux femmes se cisèlent, mais pourquoi pas? Le résultat est peut-être une œuvre d'art.

Marianne



Commentaires

  1. Pour la femme serpent, aurait-elle aussi une langue de vipère ?
    Ouhhh....je n'aime pas ces bestioles.
    (je sais, c'est imagé.)

    Pour la position des ciseaux ou compas,
    je dirais que vous ciselez dans la dentelle.
    (c'est plus féminin, et j'aime la féminité,
    qui fait toute votre beauté.)

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    1. Oui, ciseler 'est un peu faire de la dentelle, c'est beau.

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  2. Je veux vraiment à vous remercier d'avoir découvert un important mythe médiéval. Méluzine. Ce post m'a fait lire d'autres reportages à son sujet. J'aime les gens qui étudient l'histoire des mythes, des légendes et des traditions.
    La connexion des images d'hier avec les moments érotiques est agréable.
    J'aime regarder deux femmes faire l'amour. Ils ont quelque chose de très magique. Bonne nuit Marianne.

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    1. Oui, ce mythe est très ancien, et semble apparaître en divers endroits d'Europe. Mélusine est une femme incomplètement soumise à l'homme qui garde une vie secrète qu'elle ne partage avec lui. Ici on peut tout imaginer!

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  3. J'ai découvert Mélusine il y a longtemps... en BD. On en voit d'ailleurs une couverture dans la vidéo. Oui, je sais, mes références "littéraires" sont très limitées. 😁
    Pour essayer de me rattraper, je dirais que deux femmes se chevauchent. Tout simplement.
    Cela devrait plaire à la cavalière du presbytère...
    Bonne nuit.

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    1. Deux femmes se chevauchent, c'est aussi l'interprétation que je donne à la queue de serpent du samedi. Il y a deux femmes en elle. Honorine est d'accord.
      Bise.

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  4. Beau Balayage de cette représentation dont on découvre sans fin les dimensions Pluri-Elles et Multiples tant il est dit depuis l'origine du Monde sur les principes de Vie... Je suis un fidèle du Poitou et de l'Aquitaine pour des séjours en Pleine Nature dans cette riche région marquée par le Féminin de manière ancienne et plus récente comme avec l'intrigante Aliénor-Éléonore.
    Au cours de ces bivouacs et multiples périples, je parcours les lieux emblématiques et toujours à la recherche de sites hors du commun pour passer mes nuits, j'ai un jour choisi la Forêt de Mélusine pour passer quelques nuits et quelle n'a pas été ma surprise en faisant un repérage par voie aérienne avant de me rendre sur place de découvrir la forme topographique représentée par la Forêt dite de Mélusine! :
    https://photos.app.goo.gl/cE4hM47UNgcYSMw5A et ici : https://goo.gl/maps/ShEmkDAHdar5fVax5 Rien de moins qu'une vulve et sa fente ourlée de lèvres parfaitement dessinée. Sur place l'enchantement (j'allais écrire "enfantement" !!!)est au rendez-vous, notamment aux abords immédiats et plus largement marqués par le moyen-âge comme l'ensemble de la région (Cf Aliénor et le Fin'Amor).
    Merci pour le tour de ces lieux que je connais bien également et qui effectivement valent le détour (Forêt de Vouvant, Niort, Le Marais Poitevin, l'Estuaire de la Gironde, Talmont, etc.) sans que je n'ai toujours fait le lien avec Mélusine, ce qui me donne quelques idées de balades printanières!

    Sinon, j'aime bien cette approche de Mélusine et de sa "queue"... https://journal.alinareyes.net/2014/06/18/nymphes-et-fees-les-femmes-taboues/ comme ainsi décrite:
    (...)
    "cet appendice qui les ferme à l’homme ne serait-il pas aussi une sorte de clitoris fantasmatique, justement rendu géant par le fantasme de celui qui voudrait le voir, en une boucle de cause à effet précisément rendue par la symbolique du serpent ? Ne serait-il pas le signe mortel d’une auto-jouissance de la femme qui renverrait le sexe de l’homme au rayon des objets inutiles, autrement dit le signe de la castration de l’homme ? "
    (...)

    Ha Ha Ha!

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    Réponses
    1. Grand merci, Henri, pour ces liens étonnants! Incroyable cette vue aérienne de la forêt de Mélusine! Quant à l'article d'Alina Reyes, il est passionnant et me conforte dans notre fantasme liés aux ciseaux. Avoir l'entrejambes d'une autre femme entre ses cuisses, et en jouir et la faire jouir, c'est un redoublement de clitoris, donc peut-être avoir un clitoris géant, comme la queue de serpent de Mélusine qui lui donne aussi des ailes!

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