Vénus endormie
Vénus endormie (vers 1507) - Giorgio Barbarelli, dit Giorgione (1477-1510) |
Voici un tableau charmant, que j'aime beaucoup. Attribué au peintre vénitien Giorgione, il aurait été commencé par lui et terminé par un autre vénitien, Titien, 28 ans après la mort du maître. Les experts disent qu'on reconnaît la patte de l'élève dans les drapés magnifiques et tumultueux des tissus soyeux. Une chose est sûre: ce tableau a certainement beaucoup inspiré Titien quand il entreprit sa Vénus d'Urbino. On appelle ce tableau Vénus de Dresde, parce qu'il est conservé dans cette ville, mais c'est tout simplement une "Vénus endormie".
Comme on peut le voir, les deux Vénus, celle de Giorgione et celle de Titien, sont dans une position assez semblable. Même contraste rouge blanc du lit. Seuls varient le port de tête et la position du bras droit. L'endormie pose aussi sa main gauche sur son sexe, mais cette fois, c'est pour le cacher, non parce qu'elle joue avec. Elle dort. Ou bien, la coquine fait semblant. Malgré la ressemblance des Vénus, les deux tableaux sont néanmoins très différents. Je les aime tous deux, mais j'ai une secrète préférence pour la Vénus de Titien, femme plus réelle et plus érotique.
Ici, comme on peut le voir, le paysage est très présent. Il est paisible, bucolique, onduleux. Les seules aspérités qui accrochent le regard sont les arbres et cette chose étrange, situé à la verticale du sexe de Vénus. Le tronc d'un arbre coupé? Autre chose? Je ne sais pas... Le paysage n'offre pas de grand contraste avec la couche rouge et blanche de la belle, c'est un peu comme s'il se fondait en elle, sur son corps, prolongeant les arabesques de ses lignes... En cela cette Vénus est bien différente de celle d'Urbino, où le mur noir et les personnages en fond de scène, font dérailler la trajectoire de notre œil de spectateur complice. Ici, pas d'intrigue, tout est calme, presque vide. Il n'y a rien, à part cette belle nature et ces quelques habitations sans vie frémissante. Simplement, comme venant de nulle part, seulement ce corps charmant de la déesse ensommeillée, météorite tombée du ciel, sans doute par le plus grand des hasards. La belle, même, ne nous regarde pas, elle dort, ses paupières sont closes, elle nous offre simplement sa peau, de laquelle émane une belle lumière, identique à celle du ciel, pour nous dire que c'est en fermant les yeux qu'on voit le mieux le monde.
Que voit-on? Outre le corps de Vénus, il y a cette série de plans, de surfaces sans perspective, qui font de ce tableau une chose sans vraie profondeur, une chose lisse comme une peau, celle de Vénus endormie. Entre Vénus et son décor, pas vraiment de différence. L'œil glisse, surfe à la surface, suit les courbes du paysage, du corps dénudé de la belle, explore, se promène, monte ce chemin en zigzag, comme ferait un rêveur dans son rêve. Il y a fusion de la forme et du fond en une même unité. Vénus endormie nous montre que voir n'est jamais un simple phénomène optique, mais un phénomène complexe ajoutant toujours de l'imaginaire et du rêve. Vénus endormie, c'est l'enfance du regard, contrairement au regard de la Renaissance Florentine qui fait du trait, du dessin, la trame incontournable du visible. Giorgione, suivi par Titien, sera un des premiers à utiliser l'ombre et l'imprécision du trait, du flou dans la couleur. Il sera l'un des premiers à peindre directement sur sa toile sans dessiner. Il en découlera ces figures de rêve comme celle-ci. Ici, à travers cette terre sombre et piétinée, parfois recouverte d’une herbe luxuriante, comme à travers ce ciel étrangement voilé, à la luminosité sourde, il est clair que la tâche douce et colorée, posée sur la toile, est l'événement premier. Cette manière de faire deviendra la marque de fabrique de l'école vénitienne. La Vénus endormie nous ouvre sur un ailleurs utopique, un monde de songes merveilleux, sans doute inaccessible où le monde est plus beau...
Giorgione veut dire "le grand Georges". Titien qui nous le fit connaître, lui trouvait une allure noble. Il reste un peintre magnifique, énigmatique, différents de ses contemporains. Chez lui pointe déjà une vision nouvelle, romantique, qui annonce les symbolistes et les modernes. Peintre mystérieux, il l'est resté en raison de sa courte carrière et du petit nombre d'œuvres qui lui furent attribuées, car il ne les signait pas. Peintre du mystère (qu'il cultivait) parce qu'également il laissait bien souvent le spectateur se débrouiller avec l'interprétation du tableau. Pour s'intégrer dans les intérieurs de ses commanditaires qui étaient des particuliers et non des institutions, ses œuvres étaient de petites dimensions. Elles offrent une véritable libération de la couleur au détriment du trait, créant de la sorte de véritables effets atmosphériques. Les surfaces sont fragmentées, le paysage prend de plus en plus d'importance, envahi par les états d'âme et les rêves des personnages qui s'y trouvent. Il peint vraiment un monde plus beau...
Ophélie Conan
Vénus dort mais sa main agit, me semble-t-il : elle est en paix ainsi, peut-être grâce au charme du rêve qui accompagne son geste.
RépondreSupprimerPeut-être sa main agit-elle? Pour Ophélie, non.
SupprimerSelon moi, si la main n'agit pas, la belle pense à la faire agir! Certes, elle est en paix, et cela est beau à voir!
Je suis un peu de l'avis d'Elisabeth. Elle semble dormir, mais sa main , ses doigts, semblent plus actifs et pénétrants que sur la toile d'Urbino dont la femme, elle, se faisait plus provocante à mes yeux.
RépondreSupprimerAlors, ici, se repose-t-elle après une masturbation jouissive, ou ferme-t-elle tout simplement les yeux en le faisant ? Mystère.
Mais, chacun(e) interprète comme bon lui semble.
Une chose est sûre, Ophélie surfait joliment, avec ses mots sur une toile, pour décrire ce qu'elle pensait.
Dans tous les cas, cette main n'est pas là par hasard!
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