La Vénus d'Urbino
`La Vénus d'Urbino (1538) - Tiziano Vecellio dit Titien (1490-1576) |
J'adore ce tableau magnifique. Sans doute à cause de ce superbe nu féminin. C'est vrai, moi la lesbienne, j'adore les femmes nues, surtout quand elles sont belles, mais pas seulement. Ici, il y a d'autres raisons à ma passion. Cette Vénus qui s'inspire de celle de Giorgione, également très belle et très désirable, me paraît infiniment plus érotique que cette dernière. Je me suis souvent demandé pourquoi. C'est, je crois, à cause de la mise en scène du tableau.
La Vénus de Giorgione, également intégralement nue, et dans une position à peu près semblable, se trouve dans un décor champêtre, contrairement à cette Vénus-ci qui présente sa nudité dans un décor habité, un palais de la Renaissance. De plus, elle s'offre complaisamment aux regards, comme une vraie exhibitionniste, exactement comme j'aime à le faire. Regardez-la, allongée, lascive, fière de sa beauté, légèrement en appui sur son bras droit. Sa tête est relevée par un coussin, ses cheveux sont dénoués sur son épaule, elle tient quelques roses entre ses doigts. Seul son sexe est caché par sa main gauche, mais d'une manière tellement ambiguë... qu'on se demande si elle ne se masturbe pas... Un petit chien est lové à ses pieds, mais surtout il y a ces deux servantes, présence insolite, qui s’affairent derrière elle, autour d’un coffre...
On dit qu'à Florence, il était de coutume de représenter des nus dans les couvercles des coffres de mariage, de sorte que cette Vénus aurait pu, magiquement, "sortir toute nue" du coffre ouvert par les deux servantes. Les courbes du meuble rappellent, il est vrai, celles du corps dénudé. Mais nous sommes à Venise, et cette tradition n'existe pas. Il n'empêche que beaucoup d'historiens d'art ont vu dans cette scène un contexte de mariage: à cause du coffre et du geste très osé, quasi masturbatoire, uniquement accepté dans ce contexte. En effet, il faut savoir qu'au XVIème siècle, la science prônait la jouissance des femmes pour assurer leur fertilité. Ainsi, certains médecins leur suggéraient de se masturber avant le coït pour avoir un enfant. Pour étayer ce contexte de mariage, outre le coffre, on trouve le myrte sur la fenêtre, les roses dans la main gauche, le petit chien endormi sur le lit... Mais tous ces symboles ne sont pas univoques, et l'on sait que les courtisanes possédaient aussi des coffres, du myrte, des roses et des petits chiens...
Ce qui est curieux dans ce tableau, que l'historien d'art Erwin Panofsky, avait bien remarqué, c'est le grand pan de peinture noire à gauche, séparant le tableau en deux espaces distincts, précisément à l'aplomb du sexe de Vénus. Cette ligne noire verticale est prolongée horizontalement par le bord du pavement, noir également. Pour d'autres historiens, ce grand pan de peinture noire n'est pas un rideau comme l'assurait Panovski, pas davantage un mur, mais ne représente rien, tout comme le bord de pavement. De ce fait, tout est bizarre: le lit a l'air d'être posé sur le sol, ce qui n'est pas commun à la Renaissance. Le tableau est donc optiquement incohérent, bien que parfaitement construit. Les bords noirs fixent simplement les limites entre deux espaces perceptifs: celui du lit avec la femme nue et celui de la salle avec les servantes. On pourrait même dire que la zone avec les deux servantes est un tableau dans le tableau, de sorte que s'il n'y a pas cohérence optique, il y a cohérence mentale. Bref, ce tableau ne serait ni un tableau de mariage, ni un tableau effectué dans ce contexte, ni le portrait d'une courtisane, mais tout simplement, ainsi que Daniel Arasse le suggère, la matrice du nu érotique féminin dont Manet, 325 ans plus tard, s'inspirera pour peindre son "Olympia". En effet, si cette Vénus n'est pas le premier nu féminin de la peinture européenne, ce pourrait être le premier représentant une femme "déshabillée", c'est-à-dire "mise à nu" (ce qui n'est pas la même chose), et parfaitement consciente de l'être, ceci dans le but de créer un émoi érotique. A telle enseigne que, dans son regard, on perçoit nettement qu'elle sait qu'elle est nue, qu'elle l'affirme et qu'elle n'en éprouve aucune mauvaise conscience, mais au contraire, en ressent du plaisir. Titien accentue fortement cette composante sensuelle et érotique, non seulement avec le regard, mais avec les cheveux dénoués, la position de la main, la pose alanguie sur le lit défait.
On sait que la Vénus d'Urbino a été peinte pour Guidobaldo Della Rovere, Duc d'Urbino, et que ce tableau n'a pas été réalisé pour célébrer son mariage avec Giulia Varano, intervenu quatre ans plus tôt en 1534. Sa fiancée n'avait alors que dix ans. En revanche, on sait que son père, Francesco Maria Della Rovere avait déjà acheté, deux ans plus tôt, un portrait du même modèle, La Bella, mais en robe. Le fils voulait tout simplement avoir le portrait nu de La Bella, peut-être parce qu'à cette époque, on recommandait d'accrocher aux murs de belles nudités pour les raisons que j'ai évoquées plus haut, mais aussi, peut-être, parce que ce fils trouvait tout simplement excitant de regarder le corps d'une belle femme nue, fière de l'être, qui se touche, et impose à son spectateur ou à sa spectatrice une charmante frustration chargée d'érotisme narcissique. Car Narcisse, en s'admirant dans son miroir aquatique, est le premier à substituer au plaisir du toucher celui de voir.
Manifestement, Vénus s'exhibe et se mire dans notre regard, peut-être en se masturbant, en tout cas en regardant fixement le spectateur du tableau qui la regarde. Avec certitude, ce tableau est composé d'un univers essentiellement féminin. Outre Vénus, il y a ces deux autres femmes, sans doute ordinaires, je veux dire d'essence non divine, habillées, qui semblent s'occuper à des tâches ménagères. La plus grande, richement vêtue, tient le coffre ouvert, observe, tandis que l'autre, plus petite, agenouillée, vêtue de blanc, nous tourne le dos et nous offre curieusement son fessier, en même temps qu'elle fouille dans le coffre. Ces deux femmes font contraste avec Vénus. Elles travaillent, sont habillées, tandis que Vénus est nue, fait la belle et s'adonne au plaisir érotique. Si ce tableau, optiquement incohérent, n'est rien d'autre qu'une représentation mentale, une image de rêve, il devient alors possible de voir dans le coffre une représentation du vagin de la femme nue. En ce cas, la servante agenouillée fouillerait dans le sexe de celle-ci, tandis que l'autre regarderait la scène, et que le petit chien (symbole masculin, ici dévalorisé, endormi, aveugle...) serait mis à l'écart de cette scène purement saphique. Et puis, ce coffre, que recèlerait-il? Un godemiché? Mais le sexe mâle, absent, peut-être évoqué symboliquement par le chien, et l'objet recherché dans le coffre, ce sexe, dis-je, s'imposerait néanmoins symboliquement et avec majesté, par la représentation de cette extraordinaire et bien curieuse colonne phallique, tout au centre du tableau, presqu'au-dessus du sexe de la belle Vénus... Titien n'était-il pas prosaphien? Qu'en pensez-vous?
Ophélie Conan
J'aimais bien quand Ophélie s'essayait à la critique d'art. C'est la raison pour laquelle je publie cette analyse qu'elle avait faite de "La Vénus d'Urbino" du Titien. Je la ferai suivre de celle de "La Vénus endormie" de Giorgione.
Marianne
Avec l'Art, sans notice explicative de l'auteur, toutes les interprétations sont possibles et recevables.
RépondreSupprimerJe note juste que la date du tableau est erronée : Ce n'est pas 1438, mais 1538. Titien étant né en 1490...
Je te souhaite un beau weekend, Marianne.
Bise.
Merci, Phil, d'avoir remarqué cette erreur faite par Ophélie en son temps (j'ai juste fait un copié-collé). Bravo pour ton sens de l'observation et du détail!
SupprimerBon week-end et bise.
L'interprétation d'Ophélie me semble très fine et par certains côtés, je m'y attendais. Je n'aurais pas pensé au vagin pour le coffre mais aux godemichés. En somme, lesdites servantes pénètrent le vagin de cette belle odalisque. Ophélie a regardé avec précision ce tableau et j'aime bien sa façon de laisser venir les conclusions qu'elle en tire.
RépondreSupprimerVagin ou godemichés, c'est quand même très lié. Dans l'inconscient, une chose est souvent représentée par son "contraire"... C'est un beau tableau quand même très énigmatique!
SupprimerTu pourrais te lancer dans des conférences sur les oeuvres d'art! Tu as raison : c'est lié dans l'inconscient!
Supprimerje ne crois pas en avoir le talent, mais j'aime beaucoup, comme Ophélie, la peinture et la photographie.
SupprimerJe me souviens de cette analyse d'Ophélie.
RépondreSupprimerJe l'ai déjà vue et commentée.
J'ai adoré, bien sûr, sa façon de décortiquer cette peinture,
tout à l'avantage des lesbiennes.
Son interprétation est très personnelle et quelque peu fantasmée,
mais j'aime.
Tu as raison, la perception des choses est nécessairement pleine de fantasmes, même celle des scientifiques!
SupprimerEt peut-être que les deux femmes, à l'arrière plan, cherchent-elles des "jouets" pour assouvir le désir de leur maîtresse ?
SupprimerLe godemichet existe depuis bien longtemps...
Oui, cela est bien possible! Ce tableau du XVIème siècle est quand même incroyable! Une jolie femme est à poils sur un sofa, tandis que deux autres cherchent dans un coffre! Est-ce le moment de chercher une chemise de nuit? Bien sûr que non, elle cherchent des godes qu'elles vont venir lui introduire!
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