Notre anniversaire

 

























 J'ai l'obsession de mon corps, je le regarde, je le touche, sans doute pour m'assurer de sa présence, peut-être pour me le réapproprier. Je me dis que c'est bien mon corps, qu'il est à moi. Je le touche, mais Marianne aussi le touche. Elle le touche avec ses mains, avec sa bouche, avec ses lèvres. Marianne est une curieuse de petites touches, à la recherche de bonnes vibrations, de bonnes sensations. Et quand elle me touche, j'y vois le signe furieux du temps qui ne passe plus, alors elle me consomme sans modération. Et moi aussi, j'aime la toucher, dans tous les sens du derme.


 Marianne et moi, nous formons un duo, elle avec moi, et moi avec elle. Mon corps est le prolongement de son corps. Nous entendons la pulsation de nos souffles, nous faisons corps ensemble, chacune avec sa singularité, avec ses seins, avec son sexe, avec son histoire différente, et nous jouons quelque chose d'unique et de semblable. Je l'accompagne, elle m'accompagne. Je la chevauche, elle me chevauche. Nous jouissons en parallèle. Chez elle, je suis dans ma maison, je m'y sens à mon aise. C'est tout un art de la rétention que de faire l'amour à Marianne. Il s'agit de ne pas prendre le devant, de ne pas la prendre d'assaut, mais de souligner chacun de ses gestes, de faire avec elle et en même temps. Art du souffle retenu, art de la couleur. Art d'aller avec, d'écrire ensemble la même histoire et de s'adapter. C'est une ligne entière qui va avec une autre ligne, qui s'entrecroise avec elle, pour faire de belles arabesques. Duo, joie, force, moments intenses. Relation très forte, on explore, on s'explore, nous sommes liées par des fils secrets et ténus. Respect sans borne de l'une pour l'autre. J'admire l'intensité de Marianne. J'admire la manière dont elle ose pourtant. Et j'ose aussi beaucoup. Ces choses me semblent si naturelles, font appel à une partie de moi que je connais si peu. Et pourtant le jeu change d'une seconde à l'autre. Sans cesse, je dois improviser.


 Elle me regarde, elle m'hypnotise. Elle me tient. Je suis comme un bateau. Immensité, Intensité, gravité. C'est une aventure, puisque je n'en connais pas le futur. Je la regarde, elle me regarde, on se regarde, on va dans le même sens, et dix secondes plus tard, on part dans une autre direction. Nous sommes deux errantes câlines. Je la suis, elle me suit, nous ne faisons qu'une. Je fais la vague qui déferle, elle fait la vague qui déferle. Je fais un rêve de vague qui me donne la clé de sa tendresse, de sa paresse, de son souffle, de son haleine. Je souffle plus tranquille, chacune sent l'autre, on avance ensemble. On se renifle comme deux chiennes. Je la lèche. Elle me lèche. Je la suis. Elle me suit.


 Pour moi, la beauté de ce déploiement est comme une rivière, comme un radeau sur une rivière sans retour. C'est un langage. Le langage de nos deux corps tête-bêche. Deux textes, deux musiques, deux fleurs. Un nouveau contexte à l'intérieur de ce radeau de fleurs. Se mettre ensemble, s'imbriquer comme les pièces d'un puzzle, et observer avec délices ce qui va se passer, éprouver intensément ce qui se passe, voilà qui me ravit. Je la respire, je la goûte, je la chante, car la respiration et le chant sont les instruments les plus proches de l'âme. La joie de chanter en jouant, en titillant, en suçant, en léchant, c'est une belle connexion avec l'organique, avec l'orgasmique. Un doigt va chercher le point d'où naît le chant. Cette envie du chant de mon âme avec son doigt, rien qu'avec un doigt ou le bout de sa langue, cette envie est merveilleuse, talentueuse. Marianne est une virtuose.


 C'est une immense découverte. Faire l'amour avec la plus belle femme du monde, avec la plus sublime des magiciennes inspire ma transe. Chez elle, j'entrouvre une porte. Fascination. Le chant m'appartient, au plus près de sa vibration. Je la sculpte entièrement du bout de mes doigts. Je fais partie de ce tout qui la fait. Soudain, nous nous désemboîtons. J'accueille son regard, océan d'une intensité folle. Je suis curieuse de la découverte. Manger. Je mange ses seins. A belles dents. Je dévore. Je continue de mouiller. Chant très lié à la langue qui me fouille maintenant. Comme une faim. Irrésistible. En même temps, fragilité de nos deux corps.


 Voir d'ici la nature humaine. L'amour, notre première nature. Souffle commun. Expérience inoubliable. J'apprends des milliards de choses avec elle, tellement elle est généreuse, tellement elle sait pourquoi elle me fait toutes ces choses. J'explore, j'explose, j'implose, j'implore. Elle me fait explorer l'univers. Elle me fait exploser mon univers. Elle me met à l'envers, à l'endroit, encore à l'envers. Je décolle dans l'espace et dans le temps. Je décore, je la décore, elle me décore, elle me picore. Elle me regarde encore et encore, avant, pendant, après. Elle est là, omniprésente. Tout son corps me donne le début et la fin. Entre les deux, je nage. Je nage dans un océan de délices. Au début, elle me regarde comme si elle m'hypnotisait. Je la regarde me regarder. Je suis un bateau qu'elle a mis dans l'eau. Je suis mouillée, trempée. Est-ce son souffle qui m'enveloppe? Ou bien le mien?


 Nous sommes un même grand poumon. C'est le même grand moment de ma vie qui recommence. Pourtant elle est sévère parfois, parfois difficile comme une maîtresse, mais elle a le don de m'inspirer, de me transporter, sa main sur l'un de mes seins me suffit. L'amour est fait de petites touches, de petits touchers, de petites coucheries. L'amour est une vacherie, mais l'amour est magnifique. Elle soutient mon regard. La suite est mon départ. C'est facile et c'est fort. C'est une osmose, elle est la partenaire d'une musique de chambre, d'une musique de souffle, d'une osmose dans le souffle, dans l'obsessionnalité du geste. Je me prolonge avec mes antennes que je sors au dehors, pour savoir dans le bleu de quelle eau je nage. Je sonde mon milieu, son souffle, j'humecte mes lèvres à sa mouille, elle humecte les siennes à la mienne. Elle fait ça avec moi, rien que pour elle, rien que pour moi, rien que pour elle et moi.


 On ne sait pas qui passe le flambeau à qui. On se voit sans se regarder. Je la guette constamment, je la sens, je la ressens, je donne un petit coup de pagaie, ici ou là, et comme ça, ça la fait virer un peu, vibrer davantage, comme ça je la déguste à fond, à petits bruits, à petits pas. C'est un respect gigantesque, c'est une orgie. C'est toujours un aller ensemble, un aller avec. Elle respire tous mes petits changements, tous mes petits frôlements, tous mes petits déhanchements, tous mes petits feulements, tous mes petits parfums, et nous restons toujours dans la chose, dans la même chose. Elle colore, elle enchaîne, elle prend le relai, elle est constamment en mouvement. Nous sommes de la matière vivante en mouvement, nous sommes d'horribles carcasses sous notre peau, mais on ne les voit pas, on joue avec nos envies, on va dans le même sens, dans la même direction. Marianne est une vraie partenaire que je respecte, je suis une vraie partenaire qu'elle respecte. On aime ce qu'on fait, ce qu'on se fait, c'est excitant, c'est primal, c'est gai, c'est vital.


 En souvenir de notre première rencontre, le 27 juin 2010.


Ophélie Conan


J'adore ce texte d'Ophélie paru le 26 juin 2011, dans "Conan la barbare I" pour fêter le premier anniversaire de notre rencontre. Ophélie l'a réédité dans "Sorcière bien-aimée". Je le présente avec d'autres illustrations que j'ai choisies. Ce qu'elle écrit me touche considérablement, c'est exactement ce que je vivais également. 


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