Loin sur la mer

A Camogli, nous louions chez l’habitant, à dire vrai, chez l’habitante, une dénommée Maria, dame d’une soixantaine d’années, un peu rigide, qui avait accepté de nous céder, moyennant finance, une petite chambre de son appartement. Cet appartement, assez sombre, se trouvait sur la langue de rochers en forme de promontoire, entre l’anse de la plage et celle qui forme le port, à proximité de l’église et du "Castello della Dragonara", donnant plein sud, sur la mer. Notre chambre, propre, meublée de manière austère, communiquait avec le reste de l’appartement de Maria par un escalier de pierre, et ouvrait sur une minuscule terrasse qui surplombait la mer. Sur cette terrasse, les jours de grandes soleillées, nous passions de longues heures, complètement nues, à l’abri des regards, dans une indolence assez obscure.


Je ne sais pour quelle raison nous avions échoué là. A notre arrivée, fatiguées (nous avions roulé depuis Nice), nous avions garé à grand peine notre voiture dans un endroit en travaux, près du port, et nous étions mises en quête d’un hôtel, en partant du côté de la plage, mais tous s’avéraient complets. Nous regrettions un peu notre imprévoyance, mais en nous adressant à un pêcheur qui réparait son filet, dans le port, nous avons obtenu l’adresse de Maria. Finalement, nous sommes restées chez elle, sans doute à cause de la vue sur mer qui nous plaisait bien, mais surtout de sa minuscule terrasse ensoleillée.


Maria, très vite, a compris que nous étions lesbiennes. Très pieuse, elle se rendait plusieurs fois par jour à l’église et se débrouillait du mieux qu’elle pouvait pour respecter notre intimité. Il faut dire que la chose était facilitée par le fait que notre chambre ne donnait pas directement dans son appartement, mais qu’il fallait s’en écarter par ce petit escalier étroit de pierre. Nous prenions seulement nos petits déjeuner avec elle, dans sa salle-à-manger et, le reste du temps, nous restions soit dans notre chambre à nous caresser, nous aimer, soit nous allions nous promener. Un soir, Maria nous prépara notre repas, des pâtes au pesto. Maria parlait peu et souriait peu. Elle ne parlait pas le français et nous très mal l’italien. Il était donc très difficile de tenir des conversations quelque peu élaborées.


Dans la journée, quand nous n’allions pas dans une autre ville ou vers d’autres paysages, nous descendions dans le petit port pour regarder les pêcheurs et leurs gozzis multicolores, ainsi que le golfe Paradiso, ou bien, nous allions admirer toutes ces maisons colorées, alignées le long de la Promenade Garibaldi qui, dit-on, aurait été créée sur le modèle de la célèbre Promenade des Anglais de Nice. Nous aimions aussi entrer dans les boutiques, notamment dans une délicieuse pâtisserie où nous prîmes l’habitude d’acheter une moelleuse et légère focaccia, sorte de fougasse ligurienne à l’huile d’olive recouverte d’oignons. Nous nous installions aussi, parfois, aux petites tables des glaciers pour déguster l’inimitable paciugo, glace recouverte d’un sirop de griotte et relevée de rhum. Les camogliesi sont aussi des petits gâteaux excellents, préparés à base de pâte à beignet et de crème pâtissière au rhum, ou bien encore avec de la crème de marron, d’amande, de noisette ou de gianuja, c’est-à-dire du chocolat à la noisette.


Bien sûr, dans ce lieu extraordinaire, tout empreint de la présence des anciennes et vénérables traditions maritimes qui ont fait la gloire des Génois, et notamment celle de Christophe Colomb, faute d’une embarcation qui nous aurait permis de courir le monde comme tous ces gens héroïques, nous nous adonnions rituellement à notre vice chéri, je veux dire que nous sortions nues sous un manteau, godes en poche, sous les coups de minuit, quand l’animation des rues s’était à peu près éteinte, et cela nous donnait l’illusion merveilleuse de naviguer loin sur la mer.


Ophélie Conan 


Extrait de "Conan la barbare I", du 9 mai 2014.

Réédité en Kindle sous le titre générique "La dérive"


Camogli!

Je me souviens très bien de ce séjour en Ligurie, en avril 2014, de toutes ces bonnes pâtisseries et de toutes ces merveilleuses sorties nocturnes que nous faisions dans cette petite ville, Ophélie et moi. Peu après notre rencontre, ma tendre maîtresse m'avait initiée à ces sorties dénudées dont elle raffolait, ces garouages ou dérives comme elle les appelait. Il faut dire que, dans l'exercice, je m'étais très rapidement révélé une élève curieuse, studieuse et motivée, contrairement à Rose, qui avait souvent exprimé la peur de partir à l'aventure.

À Camogli, petite ville à l'est de Gênes, nous sortions toutes les nuits jusqu'à deux heures du matin. Dans la chambre que nous louait Maria, nous attendions patiemment l'heure, en lisant, totalement nues, lascivement allongées sur notre lit, et quand approchait minuit, nous retouchions notre maquillage dans le miroir, nous enlacions, nous embrassions, enfilions nos bottes et nos manteaux, puis descendions prudemment l'étroit escalier de pierre très mal éclairé, craignant tomber. 

Dehors, d'un pas alerte, nous marchions souvent vers la plage ou le port, ou bien contournions lentement la basilica Santa Maria Assunta. L'heure déjà tardive rendait les lieux si déserts, qu'il était facile de s'arrêter dans un endroit tranquille, bien en retrait ou peu éclairé, et de se bécoter en se disant des mots d'amour, de se caresser clandestinement, et de commencer à nous faire jouir. Nos manteaux n'étant pas boutonnés, nous n'avions qu'à plonger nos mains ou notre bouche dans l'ouverture pour palper des seins ou des fesses, branler un clitoris ou sucer avidement un téton.

Durant ces virées, nous nous godions aussi, manuellement et réciproquement, avec deux godes, la plupart du temps, allongées sur les galets de la petite plage, ou bien dans n'importe quel autre endroit confortable et discret de la ville endormie. 

Je me souviens d'une fois, du côté du port, non loin du restaurant Golfo Paradiso, d'où nous avions une vue magnifique sur toute la baie, tandis que nous nous adonnions à nos va-et-vient et nous donnions activement du plaisir, un chat errant qui ne cessait de miauler nous surprit, sans doute étonné par le spectacle que nous lui offrions. Craignant qu'il nous fît repérer par ses miaulements intempestifs, nous tentâmes de lui fausser compagnie, mais en vain. L'animal se refusait à nous quitter. Entêté, il nous a suivi jusqu'au pied de l'escalier de Maria.





Commentaires

  1. J'ai eu plaisir à relire cet épisode et à lire aussi, ton ressenti, Marianne.
    D'ailleurs, hormis vos belles aventures saphiques, Ophélie m'avait donné
    l'envie de visiter Camogli.
    J'avais programmé ce voyage dans mes projets.
    Et puis, comme ça ne s'est pas fait tout de suite, il y eu en 2018, je crois, la catatrophe du pont de Gêne.
    Mais, je n'ai pas renoncé quand ce satané de Covid aura disparu.
    Je sentirais, sans doute, vos parfums de vos aventures, dans la baie.

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    1. Oui, le pont est renconstruit, je crois.
      Camogli est infiniment mieux que les "Cinque terre", pourtant plus connues. Trop de touristes!

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    2. Je note sur mes tablettes.
      J'irai, peut-être, un jour sur vos traces.
      Du moins, quand on pourra voyager.

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  2. Chère Marianne,
    Au début, j'ai songé : " Marianne a le même style qu'Ophélie!!! " Oui, j'ai lu cet article après celui du 25 septembre car je reviens en arrière... Ton propre écho me touche aussi beaucoup. J'adore le chat qui vous suit jusque chez Maria très pieuse, ( italienne? ), et sans doute Ophélie joua sur le terme qui peut s'entendre au féminin comme si l'inconscient de Maria hésitait mais " non e possibile " ( italien de cuisine mais pourquoi pas? ). Je t'embrasse. Elisabeth.

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    1. Ce chat était peut-être une chatte. Il (elle) nous a quittées que lorsque nous sommes entrées chez Maria! C'était un drôle d'animal! Pour moi, mon souvenir de Camogli est associé à ce chat ou cette chatte!

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  3. Elle avait trouvé une amante qui était prête à toutes ses folies.
    Rose et toi n'avez-vous pas attaché Ophé sur un matelas posé dans la camionnette de Rose puis amené à la plage? Vous lui aviez aussi bandé les yeux.
    Une fois sur place, vous avez ouvert les portes arrières, la laissant seule, à écouter le bruit des vagues, du vent, des goélands et ...
    Je me demande si vous n'avez pas fait l'amour Rose et toi pas loin..
    Peut-être mon imagination

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    1. Oui, c'est vrai, tu t'en souviens? Oui, c'était du côté de Penhors!

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    2. Merci pour votre échange : il y a de la poésie dans cet art de laisser Ophélie écouter les bruits qu'elle aimait tant... J'essaie de l'imaginer attachée, vous entendant en sus des goélands... Ce dut être excitant à vivre....

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    3. Oui, elle avait aimé. C'était un moment magique et très intense, forcément très poétique. Cela rejoint peut-être les "performances" des artistes contemporains...

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