Mon passé



Je suis brune, avec de grands yeux noirs, parfois d'un bleu intense  et métallique. Mes mensurations sont 94-65-92, pour 1 mètre 65 et 66 kilos. J'aime beaucoup la gym, la musique, le dessin, la peinture, la lecture de biographies et les romans de Jane Austen. Enfant, je n'ai pas vraiment été heureuse. Malgré mes apparences joyeuses et optimistes, je suis plutôt pessimiste, introvertie et secrète. Je suis aussi sentimentale, souvent impatiente, mais pas envieuse, ni jalouse. Je suis têtue et persévérante, et je me méfie des autres, car j'ai souvent été trahie. J'exerce le métier de secrétaire en télétravail pour une association d'envergure nationale.

Comme on le sait, je vis au presbytère de C., avec mes trois amies Joséphine, Gaëlle et Honorine. Toutes les quatre nous formons une petite communauté de lesbiennes libertines. Nous sommes des sortes de béguines un peu spéciales, presque toujours nues dans notre propriété, et cette manière de vivre nous convient parfaitement. Nous nous entendons très bien et partageons tout. Une pour toutes, toutes pour une! Mon vœu le plus cher serait que Karine, la sœur aînée de Gaëlle, nous rejoigne. Je suis tellement amoureuse d'elle!

Je suis née de père inconnu. Ma mère s'appelle Gisèle, et je porte son patronyme. Elle m'a eue jeune, à 16 ans, et a voulu me tuer dans son ventre en se jetant, à plusieurs reprises, d'un pommier*, puis en tentant de m'étouffer quand j'ai eu un an et demi. Par chance (ou malchance), elle n'y est pas parvenue, des voisins m'ont sauvée. A la suite, il y a eu un procès, et ma mère a été condamnée à sept ans de prison pour cette tentative de meurtre. Elle en a effectué cinq.

Pendant l'incarcération de ma mère, et même après sa libération, j'ai été placée en famille d'accueil pendant huit ans, en Normandie, chez Lucie, ma grand-mère maternelle qui était alors fâchée avec sa fille et disait d'elle qu'elle était une traînée.

Ma grand-mère a été importante pour moi, elle s'occupait bien de moi, était gentille, chaleureuse et douce. Elle avait eu deux filles dont ma mère. Mon grand-père, son mari, Louis, je ne l'ai jamais connu, mort à la guerre d'Algérie. Lucie l'aimait encore, et me parlait souvent de lui, les larmes aux yeux. Courageusement, elle a continué sa route toute seule, en travaillant comme sténo-dactylo dans une société d'assurance, et en m'élevant. 

Lucie avait une sœur aînée, Isabelle, qui avait bien réussi. Elle était dentiste et s'était mariée avec un notaire. Tous deux n'avaient pu avoir d'enfants et avaient acheté un presbytère comme résidence secondaire, mais Etienne, son mari de notaire, a fait une crise cardiaque en pleine rue, un jour qu'il faisait des emplettes à Mortagne-au-Perche. Ainsi, Isabelle est tombée veuve à quarante-deux ans. Elle a quitté Paris, arrêté la dentisterie et est venue vivre le reste de ses jours, seule, à C., dans ce presbytère dont j'ai hérité. A la fin de sa vie, Isabelle est entrée dans un EHPAD où elle est morte.

Vers mes dix ans, Lucie décède et je découvre que j'ai une mère qui vit à Paris. J'avais déjà vu cette femme deux ou trois fois, chez ma grand-mère qui me l'avait présentée. Je me souviens, elle m'avait dit que c'était "ma tata". Ma mère me dit qu'elle s'appelle Gisèle, et qu'elle est ma mère, ce que je ne crois pas. Moi, au début, je n'arrête pas de l'appeler Madame. Elle et moi, nous finissons par vivre ensemble, en mère et fille, dans un minuscule studio, sous les toits d'un bel immeuble haussmannien, du côté du boulevard Clichy, et ça me change considérablement de ma Normandie. Je vais à l'école dans le quartier. Gisèle, ma mère, est une très jolie femme, grande, mince, mignonne, qui travaille comme femme de ménage, c'est du moins ce qu'elle me dit. Je me souviens lui avoir demandé qui était mon papa. Elle m'a d'abord répondu que je n'en avais pas, puis qu'elle ne s'en souvenait plus et qu'il était certainement mort.

Assez rapidement, je constate que Maman a beaucoup d'amants. Parfois, je la vois qui les attend, assise nue sur son lit. Quand ils entrent, Maman me demande de sortir sur le palier. Sur ce palier, il y a une porte qui donne dans un débarras et, dans ce débarras, il y a une fenêtre que je ne tarde pas à ouvrir et à escalader, grâce à un petit escabeau. Ceci me permet d'entrer facilement sur le toit. Là, il y a des pigeons et souvent des chats avec lesquels je joue. Je les caresse, ils sont doux, je les suis, ils sont mes amis, mais c'est assez dangereux. Heureusement, je suis leste et adroite, je fais attention de ne pas glisser, de ne pas tomber, et je m'habitue. Quand il ne pleut pas, le toit est devenu mon royaume.

Je passe devant des fenêtres qui parfois sont ouvertes. Je rencontre surtout des femmes jeunes qui me demandent ce que je fais là. Je leur réponds que je me promène, et elles me disent de ne pas tomber, de faire très attention. Souvent elles repassent du linge ou font de la couture. Il y en a une, Pierrette, qui a une grosse machine à coudre Singer et qui me dit qu'elle confectionne des braguettes sur des pantalons. A l'époque, je ne sais pas ce que c'est qu'une braguette. Il y en a une autre, un peu plus loin, qui ne fait rien et qui s'appelle Camille. Sa fenêtre est toujours ouverte. La première fois que je l'ai rencontrée, je crois bien qu'elle était toute nue sur son lit. Je me demandais bien ce qu'elle faisait, mais aujourd'hui, je sais qu'elle se masturbait. Elle a arrêté quand elle m'a vue et je ne me souviens pas de ce que je lui ai dit. Elle m'a seulement dit qu'elle avait chaud, et elle s'est rhabillée. Elle m'a invitée à descendre chez elle, m'a demandé comment je m'appelais et m'a offert une menthe à l'eau bien fraîche, puis je suis repartie.

Je suis souvent revenue voir Camille. C'était une chic fille, très jolie, qui me racontaient ses démêlées pas possibles avec ses voisins du dessous, un couple de retraités, dont l'homme, un ancien colonel de l'Armée, lui reprochait de faire du tapage nocturne. je me demandais bien quel bruit elle pouvait faire la nuit, car elle n'en faisait aucun dans la journée. Elle ne possédait pas la bruyante Singer de Pierrette. 

Contrairement à ce que vous êtes en train de penser, Camille ne m'a pas du tout initiée au lesbianisme. Ni Pierrette. C'est Ophélie qui l'a fait, beaucoup plus tard, le jour-même de notre rencontre, à un mariage.

Pendant sept années j'ai vécu chez ma mère, à Paris. Je l'ai quittée à dix-huit ans, quand j'ai rencontré Richard, un jeune homme charmant, blagueur et honnête, de cinq ans mon aîné. Il était diplômé d'une école de commerce, et travaillait comme commercial dans une entreprise. Moi j'avais en poche un diplôme de secrétariat. Nous nous sommes mariés en 1998, j'avais vingt-trois ans, et nous avons fait deux enfants, Valentin, aujourd'hui âgé de vingt-et-un ans, et Constance, de dix-neuf. J'ai cru que j'allais être heureuse avec cet homme gentil, mais j'ai vite déchanté. Ma vie avec Richard était ennuyeuse et terne. Il ne pensait qu'à son travail et bossait comme un dingue pour son patron. Il était toujours en déplacements et j'étais continuellement seule avec mes deux enfants. Nous vivions à Caen et n'avions pas de loisirs, ni de vrais amis, seulement quelques relations mondaines inconsistantes. Le soir, quand j'étais seule, je me masturbais beaucoup, j'aimais ça. Je voulais même m'acheter un godemiché, mais je n'ai pas osé. J'aurais pu avoir plein d'aventures avec des hommes qui me draguaient, mais ça ne me disait rien, je faisais tout pour les tenir à distance. Quant aux femmes, je n'y pensais pas, ça ne me venait même pas à l'esprit. Bizarre.

Valentin avait huit ans et Constance six, quand j'ai rencontré Ophélie pour la première fois. C'était au mariage d'une cousine, le 27 juin 2010. Ce jour-là, j'ai vu cette jolie jeune femme venir vers moi et, carrément, me faire la cour, ce qui m'a beaucoup surprise. Puis, elle m'a ensuite fait beaucoup plus sous un pommier des environs. J'ai su après (c'est elle qui me l'a dit) qu'elle était l'amante d'une certaine Amélie. Un peu plus de trois années plus tard, le 13 octobre 2013, après des tonnes de poèmes d'elle et une correspondance follement romantique, j'ai quitté mari et enfants pour aller vivre chez elle, à P., dans le Finistère Sud. A ce moment-là, elle n'était plus l'amante d'Amélie, mais vivait avec une petite salope aux cheveux roux qu'aujourd'hui j'adore, nommée Rose. Ophélie l'avait rencontrée dans les rues de Quimper, elle-même lesbienne venait de sortir de prison et n'avait où loger. J'étais passionnément amoureuse d'Ophélie, comme je le suis aujourd'hui de Karine. J'ai longtemps hésité à confier mes deux enfants à ma belle-mère, mais je savais qu'ils seraient plus heureux chez elle, qu'avec moi, parce que j'étais trop amoureuse pour être une bonne mère.

Mes enfants ne m'ont jamais fait de reproches concernant mon comportement "abandonnique". Ils ont toujours su que je les aimais et que si je les confiais à leur grand-mère, c'était parce que j'aimais une femme. Je ne leur ai jamais caché que je vivais avec cette femme (et une autre) dans le Finistère. Aujourd'hui, ils sont grands, connaissent l'existence de notre petit béguinage dans le Perche et me disent qu'ils aimeraient faire la connaissance de Joséphine, d'Honorine et de Gaëlle. Constance me dit souvent qu'elle ne veut pas se marier et qu'elle veut faire comme moi, vivre avec des filles. Elle m'a confié que, depuis deux ans, elle avait une amoureuse nommée Cristal.

Marianne

* Bizarrement, c'est sous un pommier que j'ai connu mes premiers émois lesbiens avec Ophélie.


Prochainement, vous pourrez lire ma rencontre avec Ophélie, racontée par Ophélie.


Commentaires

  1. Ton histoire est poignante, Marianne. Jouer sur les toits compta beaucoup dans mon enfance et je te comprends très bien. Tu dois avoir des yeux splendides. Ton tour de taille est de cinquante cinq! J'admire. Je n'en demande pas tant mais j'aime bien le ventre plat. Ta grand-mère me touche. C'est aussi superbe que tu aies pu confier tes enfants à ta belle-mère. Tu n'avais guère d'autres choix. Ils semblent aller bien. Tu as choisi la vie et ta rencontre avec Ophélie fut, si je puis dire, providentielle. Je t'embrasse. Elisabeth.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Elisabeth. J'ai longtemps hésité... Je te souhaite un bon rétablissement et je t'embrasse!
      Marianne

      Supprimer
  2. Ta vie a mal commencé et pourtant tu as réussi à être heureuse aujourd’hui. Tu es plus qu'une rescapée, tu es une sorte de "MacGyveuse" qui a surmonté toutes les épreuves.

    C'est étrange les coïncidences de nos vies. J'ai aussi habité à Paris (près de la place de la République) quand j'étais très jeune. J'ai passé mes années collège et lycée dans la Sarthe, donc pas très loin du Perche. Comme tu le sais, j’habite maintenant en Bretagne. Certes, ce n'est pas dans le même ordre que toi, et je n'ai aucune histoire avec des pommiers. Par contre, avec les péchés, si !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, ma vie a mal commencé, mais je m'en suis quand même assez bien tirée jusqu'à présent. J'espère que ça va continuer!
      Effectivement, il y a des ressemblances dans nos parcours.
      J'ai connu les pommiers, pas toi, mais j'ai connu aussi les péchés!
      Bise,
      Marianne

      Supprimer
  3. Bonjour Marianne.
    J'ai lu votre histoire personnelle avec beaucoup d'émotion et de respect. Je suis sincèrement heureux que vous ayez pu surmonter une série de situations difficiles.
    Merci beaucoup de nous avoir ouvert votre cœur.
    Je veux et j'espère que vous êtes et que vous passez un moment merveilleux, comme vous le méritez.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup Giannis pour votre délicatesse. J'avais besoin de ce retour sur le passé! Je vous embrasse.
      Marianne

      Supprimer
  4. Marianne j'ai lu avec une grande attention ton histoire vécue. J'adore les autobiographies, et la tienne est émouvante, avec ce début de vie effroyable.
    Ça a su te forger pour la suite, je pense, à toi de nous le dire. Mais, tu as eu une enfance malheureuse, hors du commun, et tu as dû te débrouiller seule, et apprendre la vie sans être épaulée.
    Maintenant, même si Karine, te manque, depuis la rencontre avec Ophélie (encore un drame, sa disparition), je pense que tu vis à plein poumon cette situation avec tes amies.
    Tu le mérites amplement. Souvent, je disais qu'Ophélie était une belle et bonne personne, je peux dire tout autant de toi.
    C'est bien que tes enfants veulent venir vous rencontrer au presbytère.
    Je t'embrasse, et un grand merci pour ces mots sincères sur ta vie.
    Et, oui, j'oubliais....whouaaa...des mensurations de Miss France ! (Même si le mètre soixante dix est obligatoire.)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Gil. Oui, ça n'a pas très bien commencé, mais maintenant ça va!
      Je t'embrasse.
      Marianne

      Supprimer
  5. Ouch! Je n'étais venu ici depuis une éternité,
    C'est super de rédiger ainsi sa propre histoire,
    J'ai pensé à Albertine Sarrazin à lire les passages de prison, qui est donc une un fait dont tu es de faut très imprégnée ..., ce qui est loin d'être anodin dans ton parcours et ton psychisme, bien que, personnellement tu ne soit pas directement concernée par tous ces enfermements et toutes ces peines-Souffrances de la détention, si ce n'est par là vie en presbytère qui est devenu pour toi une ouverture et une liberté.
    Grande Histoire de Femme,

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci de ta visite. Oui, notre presbytère est bien. Nous sommes contentes d'y revenir après trois semaines passées ailleurs!
      Marianne

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Contrefaçon

Le monde d'Ophélie

Chic! Chic! Hourra!

Fin de soirée

Sixtine

Nuages

Jolies poupées

Petites et grandes manœuvres

Lilith

Variété des formes