Marianne

Et maintenant, le second épisode...

  C'est certain, Amélie me fait la tronche. Je suis sûre qu'elle m'en veut de mon aventure avec Marianne. C'est vrai, j'ai eu tort, mais il faisait si beau, si chaud... Et puis, je m'ennuyais à ce foutu mariage. Quelle idée de se marier! D'abord à la mairie, la belle chevelure rousse et le buste de Madame le Maire m'avaient excitée, et aussi celui en plâtre de Marianne, l'autre, la République... Bref, je n'ai aucune excuse. Le lendemain, j'ai tout raconté à Amélie. D'abord mon bébé a souri, a eu l'air de n'y attacher aucune importance, mais au fil des jours, son visage s'est emboucané. Elle me fait la gueule je vous dis. 


  C'est vrai, j'ai cédé aux délices de la chair, mais peut-être aussi de l'amour. Vraiment, est-ce que j'aime Marianne? Je ne sais pas. Cette femme, dès que je l'ai vue, m'est apparue si craquante. Il faisait beau, il faisait chaud. Elle avait l'air d'une fée posée là. D'où venait-elle? Elle aussi s'ennuyait sous le grand saule. A un moment, je suis allée m'asseoir près d'elle et lui ai demandé les trucs d'usage, du genre: vous êtes une amie du marié ou de la mariée? Peu importe, j'ai rapidement eu la certitude d'avoir tapé juste, de lui plaire. Marianne m'a souri. J'ai vu qu'elle était prête, qu'elle attendait que je lui fasse la cour... 


  Effrontément, je l'ai regardée, n'ai vu que ses yeux, oubliant qu’elle était venue là avec ses deux enfants qu'elle aimait sans doute par-dessus tout, me demandant aussi si quelque chose d’autre avait encore de l’importance pour elle. A plusieurs reprises, elle s'excusa, disparut à cause de ses enfants et, quand elle revenait, s’asseyait toujours à la même place en face de moi, dans le même contre-jour, me souriait, respirait profondément, soufflait parce qu’elle avait un peu couru, alors je lui faisais remarquer, et elle me répondait que oui, et je sentais son souffle qui venait jusqu’à moi, et je la voyais souriante et triste à la fois, parfois les traits tirés par la fatigue, ou par une sorte de souffrance, que sais-je, ou peut-être encore par une béatitude d’être, je ne sais. A chaque fois, je la retrouvais, je la reconnaissais, oui c’était bien elle, et j'essayais de penser à ce qu’elle pensait, à voir ce qu’elle voyait, à ressentir ce qu’elle ressentait, et je revivais à chaque fois la tristesse de l’avoir perdue et la joie intense de la retrouver, songeais à la magie de cet instant merveilleux, unique, exceptionnel, à cet instant de bonheur qu’exaspérait ce sentiment rare, qu’à mes yeux il ne fallait surtout pas laisser échapper, en raison de cette belle lumière à travers les branches du saule, puis essayais encore d’appréhender l’invisible, toujours l'invisible dans ses beaux yeux. Soudain, n'y tenant plus, je me risquai à lui demander si elle désirait faire une promenade avec moi, dans le chemin qui longeait le gîte. Elle fit non de la tête, invoqua la présence de ses enfants, mais se leva, alla vers eux pour les prévenir. 


  Mon étonnement passé, nous marchâmes d'abord en silence, je lui demandai son prénom, elle me demanda le mien. Pendant ce temps, le soleil scintillait encore à travers les branches des haies, se montrait, disparaissait, mais le ciel se chargeait de plus en plus de vapeur, devenait lourd et gris, s’obscurcissait, devenait rosé, rouge, devenait fou. Je me disais qu'elle se demandait s'il était bien normal de se faire draguer ainsi par une femme, car elle ne pouvait avoir, bien sûr, que cette impression. J'imaginais que cela, sans doute, ne lui était jamais arrivé, mais elle aimait visiblement, j'en avais la certitude, j'étais certaine d'être entrée dans son désir comme une locomotive où plus rien ne pourrait me déloger, je le sentais, je le savais, je la ressentais comme une autre moi-même, différente, mais identique, et je la regardais comme une présence lointaine inéluctable, indispensable, inaliénable. Elle avait besoin de moi, de mon regard, de mon silence, et moi j'avais besoin de la regarder, de l’écouter, de la lire, de la vivre, de la savoir être là sans y être, d’ignorer à quoi elle pensait. Je pris alors sa main au beau milieu du chemin. Elle tremblait. Elle me dit que j'étais belle. Je lui retournais le compliment. Elle me dit que j'étais folle, je lui répondis qu'elle aussi l'était. Elle me dit qu'elle le savait, qu'elle l'avait toujours su. 


  Nous entrâmes dans un verger dont l'herbe était mal coupée, à plusieurs centaines de mètres du gîte, rien que des pommiers, et cela me fit sourire, et cela lui fit me demander pourquoi je souriais. Je lui répondis que j'avais envie de la voir ailleurs, de m’asseoir près d’elle dans un autre endroit, près d'une fontaine par exemple, car cet endroit-là n'était pas vraiment accueillant, mais il n'y en avait pas d'autres pour le moment, et puis il n'y avait pas non plus encore de pommes à cueillir dans les pommiers, mais je lui dis que je voulais entendre simplement battre son cœur, fermer mes yeux en sa présence, descendre de mon nuage et me trouver là, toute petite, muette et superbe à côté d'elle, à essayer de deviner à quoi elle pensait et qu’alors elle n’aurait nul besoin de me dire. Elle me regardait, magnifique, étonnée. Le soleil avait disparu dans le velouté des nuages, il faisait très chaud, il allait sans doute faire de l'orage. Je lui dis que j'avais vraiment très chaud, que je retirerais bien ma robe, elle me dit qu'elle aussi avait très chaud, et qu'elle retirerait bien aussi la sienne. Je la poussai contre le tronc d'un pommier, l'embrassai à pleine bouche, la dévorai avec voracité et me laissai dévorer par sa jolie bouche. En même temps, je caressai ses seins, elle se laissa faire, s'empara des miens, déboutonna mon devant, j'en fis autant du sien. Nos seins jaillirent, précieux bijoux, généreuses douceurs. Nous jouâmes avec eux avec tendresse et sauvagerie. Je tétai les siens, elle téta les miens. Je la léchai elle me lécha. Je caressai son minou, elle caressa le mien. Avec nos doigts, nos langues, nos bouches, nous nous fîmes jouir vite et lentement. Vite car les minutes étaient comptées, l'endroit était à découvert, trop près du gîte pour y demeurer bien longtemps, et lentement, car nous n'avions de cesse que d'arrêter le temps. 


  Elle ne me connaissait pas, et moi je ne savais rien d'elle. Sans doute pensait-elle que j'étais une faiseuse de mots, de mensonges, de songes, sans songer qu’on ne triche pas avec son corps, avec ses seins, avec ses yeux, avec les élans de son cœur. Elle regarda mes mains posées sur ses seins, je regardai les siennes posées sur mes seins. Elles étaient fines, belles et nerveuses. Je vis une bague. Elle me dit que oui, elle était mariée et que son mari n'avait pas pu venir à ce mariage, qu'il était en voyage, au Canada, pour son travail. Elle souriait, incandescente, je la trouvais belle, secrète, mutine, touchante, je la regardais droit dans les yeux, parfois avec une certaine effronterie. Elle me dit que c'était la première fois qu'elle faisait l'amour avec une femme, qu'elle trouvait cela très bien, très agréable, que j'étais belle, que jamais avant elle n'avait songé faire l'amour avec une femme. 


  Nous nous embrassâmes encore sous le pommier, mais elle voulut rentrer à cause de ses enfants, me disant qu'ils allaient s'inquiéter d'une si longue absence. Je la rassurai. Nous rentrâmes à pas lents. En chemin, elle me dit que, sous le saule, elle n’avait osé me regarder, mais qu'elle m'avait trouvé très belle. Elle pouvait le faire à présent. Elle marchait avec l'espièglerie d’une jongleuse, d'une bienheureuse, à un moment il lui arriva même de voler. Je lui dis que j'étais folle d’elle, et elle me répondit que cela lui faisait peur, lui faisait mal. Même un amour secret lui ferait mal. Elle me dit que cet amour ne serait pas possible, qu'il n'était pas possible d’être autant aimée. Pourquoi moi, pourquoi elle? Elle était sûre de n'être rien pour moi, elle n’avait rien de plus qu'une autre. Comment était-ce possible? Comment une telle chose avait pu arriver. Je lui dis que c'était une mauvaise question, que cela était arrivé, un point c'est tout. Mais l’affaire n’était pas très claire en elle, elle était bouleversée, et elle n'était pas non plus très claire en moi, à cause d'Amélie, mon bébé, que j'aimais aussi à la folie. Elle me dit qu'elle aimait beaucoup son mari, qu'elle pensait que c'était un homme très bien, honnête, courageux. Je ne lui parlais pas d'Amélie, et elle ne me demanda pas si j'avais une liaison. Je lui dis seulement que j'avais eu, moi aussi, autrefois, un mari. Quand nous arrivâmes au gîte, vers sept heures ou huit heures, je ne sais plus, il était l'heure de se mettre à table pour manger le cochon et le mouton, enfin grillés, enfin prêts, qu'on avait découpés en fines lamelles. Je m'installai à côté d'elle et de ses deux enfants…


Ophélie Conan

Commentaires

  1. Là, je retrouve tous les détails, l'audace d'Ophélie mais aussi la tienne, Marianne, même si une part de toi hésitait. Ton naturel me touche : tu étais bien sur la bonne voie. Je crois qu'il était bon qu'Ophélie ait été mariée et soit mère. Elle pouvait te comprendre. Quant à toi, tu avais d'emblée, les gestes ajustés comme si tu avais déjà eu des relations avec des femmes. Je perçois ton manque de confiance en toi, à cette époque " Pourquoi moi ? Pourquoi elle? " ( C'est trop beau pour être vrai ). C'était vrai : vous vous aimiez! Je trouve votre histoire magnifique. Je t'embrasse, Marianne. Elisabeth.

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    1. Merci, Elisabeth. C'est vrai que je manquais de confiance en moi à cette époque!
      Je t'embrasse,
      Marianne

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  2. De beaux moments, pleins de plaisir, d'amour et de nostalgie. Le début d'un grand amour.

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  3. C'est une histoire magnifique si bien détaillée par Ophélie.
    Un vrai coup de foudre.
    Et ben , pour une première fois, Marianne ...
    Tu n'as jamais pensé, toi, à faire un texte parallèle à celui d'Ophélie,
    avec tes propres ressentis ?

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    1. Si, j'ai dû faire un texte parallèle que j'ai publié sur ce blog, je crois... Je ne me souviens plus précisément.
      Marianne

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    2. Peux-tu retrouver le titre (le lien) ? Je l'ai sûrement lu et j'aimerais le relire.

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    3. https://liligrololos.blogspot.com/2020/06/mes-premiers-emois-lesbiens.html
      Marianne

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    4. Je viens de commenter cet article.
      Merci Marianne.
      Bon W-E à vous.

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