Je me souviens. C’était après une très belle journée d’automne, chaude et ensoleillée, c'était en 2014. Des gros connards dépourvus d'humour n'avaient pas encore massacré les dessinateurs d'un journal satyrique ni d'autres innocents à la Kalach dans Paris, et je n'étais pas encore devenue Charlie, et n'avais pas encore marché dans Paris avec d'autres Charlie.
Ce soir-là, nous étions parties, nos mains s’enlaçaient à la chaîne. Il ne faisait pas encore nuit, nous semions une ombre qui traînait, avions roulé en direction de Lechiagat, où se trouve une jolie plage que nous aimons bien, souvent agréable en été. En revenant du boulot, en entrant dans la maison, j’avais aperçu un fil où pendait une énorme et belle, mais effrayante araignée. Araignée du soir, signe d’espoir, a dit Marianne. Après cette étrange et lugubre rencontre, nous nous étions parées comme d’habitude, je veux dire maquillées, parfumées, bichonnées, avions revêtu seulement des bas et des porte-jarretelles noirs qui me faisaient penser à l’araignée, avions quitté notre maison tranquille où Rose était restée seule, après nous avoir embrassées presque maternellement en nous souhaitant de passer un bon moment.
Je me souviens, nous avions roulé avec le chauffage à fond. Nous étions bien dans notre auto, comme des poules en pâte, comme dans un petit cocon douillet, sans rien sous nos manteaux grand ouverts, fiers nichons à l’air, foufounes jolies en parfaite liberté. En prime, au ventre, comme d’habitude, la peur du gendarme, et sur le pare-brise, un air de tourmente s’égarant bizarrement dans ce qui restait de lumière.
Je me souviens, je conduisais. Marianne sans cesse me touchait. Je la touchais aussi, surtout ses seins, son minou. Le temps passait, le soir se détachait lentement. La lumière, aux angles des croix, au sommet des calvaires, s’évanouissait peu à peu, offrait des orgies de pâleurs. Arrivées en contrebas de la plage de Léchiagat, nous nous sommes embrassées goulument, et chacune a ouvert sa portière. Dans un arbre, des fils électriques dessinaient comme des éclairs. Hou! Quel froid! Dur de sortir. Nous nous sommes regardées.
Je me souviens. Nous avions quitté l’habitacle de l’auto, grimpé à toute vitesse ce qui reste de dune pour pouvoir admirer la mer d’en haut, mais le sable était glacé, un petit vent acide s’engouffrait sous nos manteaux, mordait nos tétons et nos cuisses. D’en haut, l’endroit, si joyeux d’ordinaire, étalait une plage lugubre, comme une araignée immense. La nuit et le froid tournaient tout à la guerre.
Je me souviens, nous avions renoncé à nos folles et marines amours, étions retournées aussi vite que venues dans notre auto bien chaude où s’arrondissait le fol espoir de nos fleurs en émoi. Après mille agaceries, nous avions décidé d’aller ailleurs, de ne pas nous lécher à Lechiagat, sachant qu’en cet ailleurs, on ne pourrait guère mieux sortir nues, because la froidure. Marianne eut la bonne idée de proposer Saint-Guénolé. Du côté des rochers.
Je me souviens, j’y avais garé l’auto en bordure des gros blocs, dans un endroit où nous pouvions distinguer toute la baie d’Audierne, perceptible par ses milliers et minuscules points lumineux, à la suite du long mur qui la masquait. Dans notre étroit cocon où s’élevaient comme des paroles confuses, ou plutôt un murmure paisible, nous avions fait l’amour dans l’obscurité, sans utiliser d’objet, seulement avec nos bouches, nos mains et nos doigts habiles. Nos ventres avaient faim. Nos yeux ouverts nous éclairaient.
Je me souviens. En faisant l’amour, je pensais que j’aimais le faire en voiture, parce qu’une auto est un endroit étroit et inconfortable, et que, dans ces conditions, il faut faire preuve de plus d’imagination que dans un lit ou au milieu d’un champ de luzerne. Et l’imagination, c’est fou ce que ça procure du plaisir.
Je me souviens. L’endroit où nous étions, pourtant bien connu des touristes en été, était désert et lugubre. Il me sembla soudain que la couleur du mur changea, devint violacée. Ce qui est sûr, c’est qu’il était fait mention, sur ce mur, de l'épouse d'un ancien préfet du Finistère, emportée par une lame, ainsi que d’autres personnes, en cet endroit même où nous nous trouvions. J’imaginais le drame, la lame féroce, la mort atroce de cette dame engloutie, et cela ne m’empêcha pas de jouir. Malgré mon trouble et le froid que je ne ressentais presque plus à force de plaisir, j’avais quitté mon siège, contourné la voiture, ouvert la portière de ma passagère qui, immédiatement, avait compris mon intention. Elle avait jeté ses jambes hors de l'auto, et moi, agenouillée à ses pieds escarpinés, entre ses genoux gainés de soie, malgré le froid, je m’étais mise à la lécher, bercée par le doux clapotement presque immobile de la marée, songeant encore à l’araignée tout au bout de son fil.
Ophélie Conan
17 janvier 2015
(Conan la barbare II)
Vous avez bien fait d'en profiter car le Rocher des Victimes n'est plus accessible en voiture. Uniquement à pieds.
RépondreSupprimerCeci dit, prendre ses pieds pour y aller n'empêche pas d'y prendre son pied quand on y est.
C'est une sortie qui m'a beaucoup marquée, dominée par la cohabitation de la mort et du plaisir... Dommage qu'on ne puisse plus s'y rendre en voiture! Certes, on peut s'y rendre à pied, mais ce n'est pas pareil pour le pied!
SupprimerMarianne
De beaux souvenirs dans des moments d'amour gratuits, pleins de plaisir.
RépondreSupprimerLa collection d'images est excellente. J'adore les peintures classiques.
Les photos 61 et 64 sont mouillées d’érotisme. Bonne dimanche Marianne.
Oui, le temps a passé... Le temps passe!
SupprimerMerci, Giannis pour ton commentaire. Tu écris de mieux en mieux le français, bravo!
Marianne